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16 novembre 2016 3 16 /11 /novembre /2016 13:21

 

En sortant du préau, je m’abrite sous mon pull pour me protéger des petits grêlons qui tombent du ciel. Il est 13h45 et je vais chercher mes élèves dans la cour. Bien entendu, ils ne sont pas rangés. Déjà sous le soleil, ils ne savent pas se ranger, alors sous la grêle, faut voir le cirque. Une vraie fourmilière ! Bon, avec que 20 fourmis, mais c’est quand même l’effet que ça me fait quand je les vois courir dans tous les sens, les mains tendues, la bouche ouverte, les yeux fermés.

 

Seul Jason m’attend calmement avec un sourire béat devant la poubelle, notre point de repère pour se ranger.

 

-       Maître, il neige. On va avoir des cadeaux.

Je comprends tout de suite le raccourci mais je n’ai ni le temps ni l’humeur de m’attarder sur ce genre d’émerveillement puéril. Alors, en mode adulte pas sympa, je lui assène un violent : « C’est pas de la neige, c’est de la grêle » et je hurle aux 19 fourmis loin d’être perturbées par ma présence, de se ranger fiça parce que la grêle ça fait mal.

 

De retour en classe, l’ascension de 2 étages, n’a pas calmé mes élèves. Et dans ma tête raisonne la voix de ma grand-mère : « Ah, ça sent la neige ! ». Prédiction récurrente de l’arrivée de la neige en fonction du degré d’excitation des enfants. Et ça marchait tout le temps. Bon, je vous avoue que dans la région de mon enfance, la neige tombait en hiver aussi souvent qu’un enfant peut être excité et que ma mamie se gardait bien de sortir ce genre de prémonition sous le soleil de juillet.

 

Mais, une fois de plus, ça n’a pas loupé, il s’est mît à neiger. Pas grand-chose. Juste deux trois malheureux flocons qui avaient l’air tout perdu dans le ciel gris et qui hésitaient vraiment à descendre sur le bitume de la cour où ils allaient fatalement disparaître.

Pas grand-chose mais juste assez pour que Jason s’en aperçoive et donne un grand coup de pied dans la fourmilière qui, à mon grand plaisir, avait fini par s’assagir pendant l’écriture.

 

-       Il neige. On va avoir des cadeaux.

 

Cette fois-ci, les autres élèves l’entendent et s’engagent dans la brèche.

-       Ah oui, c’est l’hiver.

-       Et en hiver, il y a Noël.

-       Et à Noël, on a des cadeaux.

 

Et Jason, les yeux fixés sur l’horloge de la classe, demande :

-       C’est bientôt Noël, Maître ?

-       Oui…enfin non ! C’est pas pour tout de suite, tout de suite. Il va falloir patienter encore un peu.

-       Patienter combien ? demande Samir.

-       Combien, quoi ?

-       Ben, combien de… minutes ?

 

Et là, oubliant que je m’adresse à Samir, le pauvre Samir qui a bien des difficultés à compter au-delà de la dizaine, je lui adresse un méchant :

-   Plus que tu ne peux en compter en tout cas.

 

Voilà, c’est ma spécialité, ça. Les boulettes ! Les pieds dans le plat ! Les grosses gaffes. Comme quand j’avais annoncé dans le blog de l’école que le papa de Selma ouvrirait la course des CP pour le cross et que ce dernier s’était présenté le lendemain à l’école dans son fauteuil roulant pour me demander de démentir l’information. Ou quand j’avais lancé une série de boutades plutôt pataudes à Madame Jouille et son appétit d’oiseau, avant de comprendre mon erreur en voyant les regards affolés de mes collègues qui m’ont confirmé plus tard que la pauvre était anorexique.

 

Je rattrape alors rapidement ma maladresse :

-       D’ailleurs, même Giulia (désignée par les autres comme la meilleure élève de la classe) ne pourrait pas compter toutes les minutes jusqu’à Noël… tellement c’est encore loin.

 

Mais Samir ne lâche pas l’affaire :

-       En jour alors ! Combien ?

 

Nous voilà en pleine séance de Découverte du monde, nouvellement dénommée Questionner le monde et que j’appellerais moi, plus volontiers, Questionner le Maître.

 

Alors je m’adapte. Je sors à l’arrache quelques outils pour qu’ils trouvent leur réponse eux-mêmes : le calendrier, l’affiche des saisons, le tableau du rituel Chaque jour compte…

 

On compte les jours, on compare les saisons, on élude la question de l’existence du Père-Noël, on parle un peu religion, ou plutôt laïcité, on récite les jours de la semaine, on chante les mois de l’année… Et on en conclut que Noël c’est bientôt mais pas trop. Que tout est relatif. Que le rendez-vous chez l’ophtalmo en juillet 2018 paraît moins loin que Noël prochain tellement ça nous tarde.

 

Et quand je leur dis de terminer l’écriture car il est bientôt temps de descendre en EPS, une partie de classe met inconsciemment en application ce que l’on vient d’apprendre en criant « Déjà ?!? ».

 

Alors Alix qui me voit sourire, s’illumine et déclare : « C’est vrai que c’est passé plus vite que quand on fait lecture ! »

 

Bizarrement, le seul que cette séance improvisée n’a pas captivé, c’est Jason, celui qui en est à l’origine. Il a passé son temps les yeux fixés sur l’horloge. L’agitation la classe semble alors le sortir de ses rêves. Il se lève d’un seul coup en me montrant l’horloge et la grande aiguille qui a bougé de quelques graduations et me demande :

 

-       Et là ? C’est bientôt Noël, là ?

Patience
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29 septembre 2016 4 29 /09 /septembre /2016 10:30

Le nouveau de l’école, cette année, c’est moi. Le premier jour, à la réunion de prérentrée, Directrice m’a fait monter sur l’estrade à côté d’elle. Elle m’a présenté brièvement à mes 20 nouveaux camarades (une grosse école) et leur a demandé de me réserver le meilleur accueil car changer d’école, vous savez, ce n’est pas facile. Les 20 têtes ont opiné en cœur en souriant chaleureusement et Directrice m’a montré ma place au bout du U.

Voilà. C’est tout. Pas de bizutage ou de journée de l’intégration. Pas de pot d’accueil avec la danse du camping qui aurait permis de briser la glace. Juste une présentation froide et impersonnelle dans une école à taille industrielle. Ma place dans cette grosse équipe, c’est à moi de me la faire tout seul.

Pas évident. Il faut déjà observer, jauger le groupe. Repérer la fonction de chacun dans la meute.

Le petit rigolo de service. Déjà pris. Zut !

Le brun ténébreux, taciturne, mystérieux qui cache vainement son strabisme derrière des verres fumés. Déjà pris.

Le syndicaliste maladif. Déjà pris.

L’éternel absent pour mal de dos. Déjà pris.

Et le rôle de la jolie nymphomane au décolleté ravageur ? Malheureusement et désespérément vacant.

Quand on est nouveau, avant d’apprivoiser l’équipe, il faut dompter le bâtiment.

Pour ma part, ce n’est pas encore gagné. Je me retrouve encore très souvent dans les toilettes des filles avec une liasse de feuilles à photocopier. Je trébuche régulièrement sur la dernière marche de l’escalier un peu plus haute que les autres. Je m’excite presque tous les matins pour ouvrir la porte d’entrée, oubliant que le sens de rotation de la clé est inversé.

Et surtout ! En un mois, je n’ai toujours pas trouvé les toilettes des adultes.

Surement par stupide dignité, je me refuse de demander à un collègue où les latrines professorales se situent. Je m’imagine mal pendant un conseil des maîtres lever le doigt et demander « Directrice, je peux aller faire caca ? » et qu’elle me réponde « Oui, bien-sûr, tiens Madame Donzé, tu peux accompagner Tévélis ? ».

Il devient urgent que je cesse d’aller discrètement dans les toilettes des élèves. Je me suis dit que je jouais sans doute avec ma carrière lorsque, sortant des toilettes, je me suis retrouvé nez à nez (où plutôt nez à fesses) avec Jordan un de mes élèves de CP en mode petite section avec le slip et le pantalon en bas des jambes en train de se soulager dans les urinoirs.

Et puis quand on est nouveau, il y a parfois de grands moments de solitude. Comme l’autre jour, lorsque Madame Charmier est arrivée et qu’avec une grande spontanéité et beaucoup de surprise, je me suis écrié : « Oh merde, il pleut !!?! ». En fait non ! Il ne pleuvait pas. Le silence pesant qui s’est ensuivi m’a un peu mis sur la voie et quand Madame Charmier m’a demandé « Ben non ! Pourquoi il pleuvrait ?», j’ai eu du mal à jouer l’honnêteté et lui affirmer que non, désolé, j’ai cru que ses cheveux étaient mouillés mais que, en fait ils ne sont que gras et que ouf ! je peux faire sport dehors. Alors j’ai baissé la tête et j’ai fait semblant de ne pas l’entendre.

Il devrait y avoir un document dans chaque école pour éviter ce genre d’incident. Une fiche mémo que les anciens laisseraient aux nouveaux pour faciliter leur intégration. Du genre :

  • Ne pas parler politique avec Monsieur Untel à moins de vouloir également que « les bougnoules quittent notre France chérie ».

  • Ne pas rigoler (même par politesse) aux blagues de Monsieur Untel. Il risquerait de se croire drôle.

  • Ne pas aller aux toilettes moins d’une heure après le passage de Monsieur Untel.

  • Ne pas plaisanter sur la jambe de bois de Madame Unetelle en sa présence. Elle le prend encore mal. C’est assez récent.

Et puis ce qui me manque énormément dans une nouvelle école, c’est ce sentiment d’être un peu à la maison, de connaître les moindres recoins de l’école et les trucs qu’il faut savoir pour se simplifier la vie, et chaque matin d’être content de croiser les collègues qui font un peu partie de la famille et aussi de connaître les prénoms des élèves pour éviter de les nommer vestimentairement dans la cour.

« Hé ! Le pull bleu, là ! Ramasse le papier que tu viens de jeter ! »

« Hé ! Le T-shirt rouge, là ! Fais doucement avec le ballon ! »

« Hé ! Le string rose, là ! Eh ben…euh… va mettre une ceinture à ton pantalon ! »

Mais je sais que tout cela va venir. Que petit à petit, jour après jour, bourde après bourde, blague vaseuse après blague vaseuse, je vais commencer à être accepté comme un membre à part entière de cette équipe. Je sais que la veille des vacances de Noël, après la soirée entre collègues, lorsque je tiendrai les cheveux de Directrice qui sera en train de vomir dans les toilettes des élèves, j’aurai franchi un cap dans mon intégration.

Le nouveau
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24 août 2016 3 24 /08 /août /2016 07:09

Qu’elle est étrange cette dernière semaine de vacances !

Du soleil plein le ciel, mais on reste cloîtrés à la seule lumière de notre écran d’ordinateur. Des grasses matinées jusqu’à des 7h30 pour se remettre dans le rythme. Des veillées tardives qui nous permettent tout juste de voir le JT et la météo. L’esprit libre mais quand même encombré par des nouveaux programmes.

En somme, toujours les vacances mais plus vraiment les vacances.

Il suffit de regarder notre page d’actualités sur Facebook. Les belles photos de famille sous le soleil sur lesquelles la seule trace de tracas pouvait se traduire par « Serai-je assez bronzé pour me la jouer au retour de vacances ? » ont progressivement été remplacées par de terrifiants appels de détresse tout droit issus des page de profs auxquelles nous sommes abonnés : « Help, j’ai un enfant autiste dans ma classe à la rentrée », « Help, j’ai des petites sections, dois-je autoriser la tétine à la sieste ? », « Help, j’ai une classe de 36 élèves à quatre niveaux, dois-je démissionner ? », « Help, j’ai passé le concours pour les vacances mais elles sont déjà terminées. »…

Oui, certes, je parle de la dernière semaine pour mon cas et celui de beaucoup d’autres, mais je sais que certains d’entre nous ne se sont accordés que le temps du trajet jusqu’à chez eux après le dernier jour de classe pour décompresser. Et qu’ils se sont remis au boulot dès le 5 juillet à 17h juste après avoir goûté, pour préparer au mieux leur prochaine année scolaire.

Une, deux ou huit semaines. Chacun son rythme.

La plupart des gens pensent que la journée de prérentrée suffit aux enseignants pour organiser leur année.

Pour refaire son emploi du temps. Pour trouver d’autres rituels. Un autre système de sanction. Pour changer totalement sa méthode en mathématiques. Pour s’approprier les encore nouveaux programmes. Ou un nouveau niveau. Pour ranger sa classe. Préparer les cahiers. Les progressions. Les affichages.

Moi aussi, au début de ma carrière je pensais comme eux. J’espérais avoir assez de 6 heures pour faire tout ça. Mais je me suis rendu compte qu’il était plus facile de d’enfiler un cheeseburger entier dans ma bouche que toutes ces tâches dans la journée de prérentrée. Et depuis, que j’ai vu qu’un Gallois s’était étouffé en voulant manger un cheeseburger en une seule bouchée, je commence à manger le mien une semaine avant la rentrée.

Parce que la journée de prérentrée, c’est un peu la dernière journée de vacances. C’est un peu la surcompensation du sportif. Après un entraînement intensif, il faut un temps de repos juste avant la compétition pour être au top de sa forme.

A la prérentrée, on boit un café et quelques viennoiseries, on remplit des plannings pour organiser le fonctionnement de l’école, on déballe les dernières commandes et on ajuste un peu le mobilier de sa classe. Que du light pour se ménager pour la grande journée qui suit.

Pour moi cette année, c’est un peu particulier. J’ai changé de département et n’ai obtenu ma mutation que mi-juillet. Ce qui veut dire que je suis, actuellement et jusqu’au 30 août, sans poste.

J’ai le privilège (ou la malédiction) d’être encore en vacances. Vous vous souvenez ! Comme les deux ou trois premières années, lorsque jeunes enseignants nous n’avions pas assez de points pour obtenir un poste au premier et deuxième mouvement.

Me voilà, pour cette dernière semaine de vacances, l’esprit complétement libre. J’ai bien lu un résumé des nouveaux programmes, comme ça, en dilettante, sans trop m’investir intellectuellement, ne sachant pas quel niveau je retrouverai à la rentrée. J’ai aussi rangé mes documents sur mon PC et fait une sauvegarde de ma clé USB (parce que l’année dernière je me suis maudit une demi-douzaine de fois de ne l’avoir pas fait, chaque fois que, en sueur, je cherchais ma vie, mon précieux, ma clé USB dans le bazar de mon organisation).

Mais voilà, maintenant je tourne en rond. Alors, je prends le soleil, je me baigne, je bouquine et je fais des mots croisés et des sudoku géants pour entretenir mon brain. Je m’occupe de mes enfants et je vais cueillir des mûres pour faire des confitures.

Bref, je profite des vacances.

L’esprit libre.

Enfin, presque libre.

Parce que quand même, deux petites questions de rien du tout qui me turlupinent un tantinet.

Où serai-je et que ferai-je à la rentrée ?

Dans quel coin reculé de mon beau département devrai-je conduire ma carcasse chaque matin pour enseigner ?

Et d’ailleurs, à qui enseignerais-je ? Serais-je adjoint en maternelle, en élémentaire, dans quel niveau, un double niveau, ou plus, directeur, dans un commune isolée, en REP ou REP+, maître E ou G, en clis ou en UPI, en SEGPA, éducateur en EREA, en IME, ZIL, Brigade, remplaçant ASH, ZIL en REP+ ou maître supplémentaire, en surnombre, décharge de directeur, ou titulaire de secteur…

Le burger, on ne va pas m’obliger à l’engloutir d’un seul coup, on va juste m’imposer lequel je devrai manger quotidiennement pendant un an. Pas que je sois difficile, mais parmi cette large diversité de hamburgers, il y en a un paquet que je n’ai jamais goûté.

Et quand même, j’appréhende.

L’esprit libre
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27 avril 2016 3 27 /04 /avril /2016 05:30

Il est 14h dans ma classe. La digestion fait des ravages sur la participation et l’implication de mes CP lors ma séance de vocabulaire. Cela dit, je ne leur en veux pas trop, leur motivation étant proportionnelle au temps de préparation de ma séance.

En effet, la veille, à la va vite sur mon cahier journal j’avais griffonné : Vocabulaire : le lexique des contes, BS. Ce qui voulait traduire cette intense et profonde réflexion pédagogique: Merde demain, vocabulaire, pfff. Fais voir la programmation. Le conte…mouais. Ok !  Brain Storming sur les personnages de contes pour la première séance. Et je ferai la fiche lexique en fonction de ce qu’ils m’auront trouvé. Ou plutôt, je trouve une fiche toute faite sur internet et je validerai les mots du Brain Storming seulement s’ils sont sur la fiche.

Je suis en train d’écrire « la fée » à la craie blanche sur mon tableau lorsqu’Amine (la seule personne réveillée de la classe) remarque justement : « On n’a trouvé que des gentils ».

Je regarde les trois mots inscrits au tableau : fée, princesse, prince charmant.

- Ah oui tu as raison. Tiens, on va faire deux colonnes et classer les personnages.

Plutôt fier de cette improvisation, j’espère réveiller les quelques endormis qui trouvaient la tâche un peu trop basique pour leur brain.

Du coup ça les pousse à trouver quelques  méchants que je note hâtivement dans la colonne de droite.

- Le loup !

- Le géant.

- L’ogre.

- Ben, l’ogre il peut être gentil aussi.

Innocemment, Aline vient d’ouvrir une brèche.

- Et le loup aussi, il y en a des gentils.

- Et les sorcières dans Harry Potter, elles sont gentilles des fois.

- Et les princesses, des fois, c’est des vraies peaux de vache.

Merci Aline. Moi qui croyais avoir affaire à des CP léthargiques, voilà une vraie révolution.

J’essaie alors maladroitement de leur expliquer que le caractère manichéen d’un conte et son univers formé d’oppositions simples permettent une lisibilité et une accessibilité pour  tous et qu’à leur âge, normalement, on se restreint à la notion gentil/méchant pour  la compréhension des contes et que si ils pensent qu’il existe des ogres végétariens et des loups amoureux, c’est à cause des auteurs de jeunesse actuels qui détournent allégrement les contes traditionnels à grand coup de décalages en mettant en scène des fées aigries et des géants timides.

Alors que je reprends mon souffle, Enzo demande :

- C’est quoi « manichéen » ?

- C’est les gants pour pas te brûler, lui explique Josie.

Ce qui semble satisfaire tous les élèves et les éclairer enfin sur mon obscure explication.

Amine, qui décidément est mon complice sur cette séance me sauve la mise et relance ma séance en déclarant :

- De toute façon, les ogres ça n’existe pas !

Des clameurs d’évidence partent de toute le classe et valide sa déclaration. J’en profite alors pour agrémenter ma séance :

- Tiens, on n’a qu’à mettre un petit astérisque sur tous les personnages qui n’existent pas.

Et de les énumérer au fur à mesure de la liste :

- Et les loups ?

- Oui, il en existe des loups.

- Et les princesses ?

- Oui, ça existe.

- Et les fées ?

- Non, ça n’existe pas.

Je ne m’en rends pas compte mais à chaque proposition de personnage, les élèves se regardent les uns et les autres et ils me scrutent pour voir ma réaction à chacune de leur réponse. Du bout des lèvres, ils répondent qu’untel existe ou n’existe pas. Mais c’est sans conviction. Cette évidence feinte que les fées et les sorcières n’existent pas, ce n’est qu’une façade pour ne pas perdre la face devant l’adulte qui dézingue leurs croyances à grands coups d’astérisques. Et moi, sans m’en rendre compte, je raye de leur petite tête des personnages qu’ils pensaient un jour rencontrer ou même devenir.

Et puis, j’entends Rémi qui prend la parole pour la première fois depuis 128 jours d’école (Oui, on fait « Chaque jour compte »).

- Et le Père-Noel ?

Silence !

Déjà, la stupeur de toute la classe d’entendre la voix de Rémi mais surtout l’attente de la réponse. Et 24 paires d’yeux qui me regardent écrire « Père-Noël » au tableau dans la colonne des gentils en se disant : « Allez Maître, Rémi, il ouvre pas la bouche pour dire n’importe quoi. Il réfléchit vachement. Cent vingt-huit jours qu’il attend le bon moment pour poser sa question, il faut pas le décevoir. Les fées, les ogres, on s’en balance, c’est pour le folklore. Le Père-Noël, ça c’est du sérieux. Allez ! Réponds !»

Me voilà piègé ! Vais-je être le premier adulte à leur balancer la vérité nue sur le Père-Noël à l’aide d’une petite étoile dessinée ou pas au tableau. 

J’entends déjà les reproches des collègues dans la salle des maîtres : « Quoi !? Gros barbare ! Tu as sacrifié leur innocence sur l’autel de la vérité. Tu as gâché leur enfance au nom du savoir ! Quel traumatisme !»

N’est-ce pas ce que l’on fait quotidiennement ?  Leur enseigner la vérité, le savoir.

Est-ce qu’au prix de l’innocence, j’arrêterai de corriger Nadiya lorsqu’elle dira « Je m’ai trompé(e) », de peur qu’elle soit traumatisée d’apprendre qu’au passé composé les verbes transitifs se conjuguent avec l’auxiliaire être ?

Cela dit, en y réfléchissant, je risque de gagner du temps dans mes corrections. D’ailleurs je ne corrigerai plus rien. Je lirai benoîtement leurs copies en m’attendrissant à chaque erreur : « Oh quel innocent ! Il croit que 8 c’est le double de 5 ! C’est mignoooon ! ».

Cette perspective me réjouit. Vive l’innocence ! Vive leur enfance ! Au diable la vérité, l’auxiliaire être et les corrections !

Alors d’un coup de paume de la main lapidaire, j’efface le Père-Noel du tableau (pour ne pas non plus perturber ceux qui n’y croit déjà plus).

Et c’est encore Amine qui vient à mon secours :

« Ah ben oui ! Le Père-Noel, c’est pas un personnage de conte ! Il est même pas dans Shrek ! »

La belle innocence
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2 mars 2016 3 02 /03 /mars /2016 12:15

Il y a quelques jours je me suis rendu au bureau de Poste de ma ville pour y poster une lettre. Je suis entré un peu fébrile avec ma missive à la main car, étant malade dans les virages, j’ai toujours peur d’avoir des nausées dans les queues en serpentin.

Fort heureusement, cela ne m’est encore jamais arrivé de vomir dans la file d’attente d’un bureau de Poste. C’est, je crois, dû à la lenteur excessive de progression. L’oreille interne ne perçoit même pas les changements de direction.

Toujours est-il que ce jour-là, la file d’attente vide et rectiligne m’amène directement devant une guichetière inoccupée à qui je tends ma lettre et un sourire en lui demandant poliment un affranchissement économique. Sur quoi, elle me répond tout aussi poliment :

- Il y a une machine juste là.

- Euh oui, mais je n’ai pas de monnaie.

- Elle prend la carte.

- Non mais je veux dire que j’ai un billet et je ne crois pas que…

- Si si… vous passez déjà à la machine qui fait la monnaie avec votre billet et ensuite à la machine à affranchir.

- Bon ben au revoir.

- Au revoir bonne journée.

- Merci ! Vous aussi.

J’ai failli ajouter :

- Et qu’on ne vienne pas nous emmerder dans cinq ans avec une opération escargot des guichetiers de la poste qui ont peur pour leurs emplois et qui se plaignent d’être remplacés par des machines

Mais je n’ai pas eu le cran et je me suis dirigé vers la machine à faire de la monnaie puis vers celle à affranchir.

Le soir même, j’avais dans ma boîte mail professionnelle un rappel sur le planning des formations pédagogiques et sur M@gistère, le copain de l’inspection qui nous forme à distance.

Au lieu de se retrouver un soir après l’école avec une bande de collègues de la circonscription, on reste chacun chez soi derrière nos ordinateurs à faire semblant de faire défiler le menu de la formation et à faire semblant d’ouvrir les liens et les vidéos, au cas un robot espion de l’Inspectrice contrôlerait la durée de connexion et l’activité de chacun de nous sur le site. Ensuite, on répond à un quizz en s’aidant largement de Google, un peu comme les auditeurs des Grosses Têtes de Ruquier, mais sans la pression de Florian Gazan qui répond trop vite.

Puis, on nous invite à mettre en œuvre en classe une séance ou une séquence en rapport avec le thème choisi cette année.

Enfin, nous sommes convoqués à une ultime réunion avec quelques collègues du même cycle pour confronter nos expériences et nos mises en œuvre récentes. Cette dernière partie est dite « en présentiel ». Quel joli mot ! Un néologisme apparu sans doute en même temps que son contraire : « formation à distance ».

Cette année, ils ont poussé le bouchon un peu plus loin et les mises en commun vont s’effectuer en classes virtuelles. Pour notre école, il s’agit de communiquer avec une école située à moins d’un kilomètre de chez nous, par ordinateur. Un Skype, mais en un peu moins fun. Certes, un kilomètre, c’est bien plus long que la distance séparant la guichetière de la machine à affranchir mais le principe est le même : éviter tout contact humain.

Il ne me tarde pas que cette mode du « à distance » apparaisse dans nos classes, qui d’ailleurs ne serviront plus à rien.

Les premières années, nous les enseignants, nous seront encore utiles. Quand un élève viendra devant notre bureau avec ses questions, nous jouerons le rôle de la guichetière inoccupée.

- Maître je voulais savoir si…

- Il y a une machine juste là.

- Oui, mais…

- Tu n’as pas de monnaie ? T’inquiète, c’est encore gratuit l’école.

- Bon ben au revoir.

- Et n’oublie pas de passer par la machine à corriger avant de sortir.

Puis, les élèves prendront le pli de se diriger eux-mêmes vers la machine sans passer par la case bureau. Alors le gouvernement aura raison de supprimer tous les postes d’enseignants inutiles et ce n’est pas une vulgaire opération escargot qui sauvera nos emplois.

Les plus doués en informatique bénéficieront d’une formation et ils garderont un pied dans la maison Education Nationale en devenant programmateur de machine à enseigner. Ils se sentiront encore utiles mais regretteront tristement les méthodes d’enseignement à l’ancienne.

Devant leurs ordinateurs, ils regretteront l’agitation quotidienne d’une classe vivante. Ils regretteront le sourire de Zoé qui a enfin compris comment comparer les nombres décimaux. Ils regretteront de ne pas pouvoir inventer une machine qui tiendra la main de Walid pour la guider au mieux dans la réalisation de la boucle finale de son f. Ils regretteront les échanges, les pleurs, les rires, les dessins, les cris, les chuchotements, les bruits, les silences, les fermetures Eclairs à remonter, les lacets à dénouer…

Bref ils regretteront tout ce que la distance leur aura volé.

A distance
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9 février 2016 2 09 /02 /février /2016 12:40

Depuis ma rentrée en CP en septembre dernier, j'ai observé un drôle de phénomène. Le matériel scolaire, pour mes petits élèves, ne sert pas qu'à travailler. La plupart d'entre eux ont trouvé une fonction supplémentaire aux crayons, taille-crayons, ciseaux, gomme, colles et autres stylos. Ils les mangent !

Non, mais vraiment ! Littéralement ! Manger.

Voici une chanson qui peut-être inspirera TF1 ou M6 qui nous proposeront bientôt une émission culinaire dans laquelle des élèves de CP concourront pour régaler le jury de plats cuisinés à partir de matériel scolaire.

Bonne écoute !

 

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20 janvier 2016 3 20 /01 /janvier /2016 14:05

Pour des raisons que vous comprendrez, l'article d'aujourd'hui est en PDF.

Je vous conseille de mettre le mode plein écran sur le document.

Bonne lecture !

 

 

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13 janvier 2016 3 13 /01 /janvier /2016 11:36

1. Arrêter de jouer à Candy Crush pendant les évaluations.

Pour plusieurs raisons. Déjà parce que ce jeu est interminable. Il compte actuellement 1430 niveaux et 15 nouveaux niveaux apparaissent chaque semaine. Un peu comme le nombre de disciplines à enseigner à l’école qui se multiplient à l’infini au fur et à mesure du temps et qui rend les programmes scolaires de plus en plus interminables.

Et puis aussi parce que quand on a les yeux fixés sur notre smartphone, les copies des élèves ont une légère tendance à s’uniformiser.

2. Ne plus stigmatiser une partie de la population scolaire.

Une étude récente a montré que les enseignants hommes âgés de 25 à 60 ans avaient une fâcheuse tendance à stigmatiser une certaine partie de leurs élèves. Il s’agit d’un harcèlement proche de l’acharnement qui se traduit par un nombre de convocations injustifiées excessif des mamans des élèves stigmatisés. Rien à voir avec leur origine, leur religion ou leur couleur de peau. Ni même avec leur attitude ou leur travail scolaire, même si c’est le prétexte avancé par les dits enseignants pour convoquer les parents. Non, l’étude montre que le nombre de convocations augmente proportionnellement au tour de la poitrine de la maman et inversement proportionnellement à son tour de taille.

3. Ne plus stigmatiser une partie des disciplines scolaires.

« Maître, c’est écrit quoi, là ? ». Inès pointe du doigt un mot de l’emploi du temps affiché dans la classe. Devant notre hésitation, elle insiste : « Les autres mots, je les ai tous lus ! Français, mathématiques, calcul, découverte du monde…tout ça, c’est écrit dans nos cahiers, je les ai reconnus. Mais ce mot-là, je n’arrive pas à la lire… A aane anegelaïsse ! »

- Ben justement ! C’est une matière surprise qu’on ne fera que quand vous saurez lire le mot…héhé ! Voilà ! Et tu ne t’en rends pas compte, mais chaque jour on en fait un peu de cette matière.

- Ah bon ?

- Yes ! Allez, go ! Retourne à ta place.»

4. Anticiper sa préparation de classe.

Fatigué d’être à l’arrache ! Stressé de la pression qu’exerce sur vous votre propre manque d’organisation. Blasé d’attendre votre tour à la photocopieuse en trépignant d’impatience, scrutant sans cesse les aiguilles de l’horloge qui vous rapprochent, à chaque tic tac, de la fin de la récréation alors que votre collègue prend son temps et vous annonce enfin, grand prince et un peu donneur de leçon, « Vas-y, je te laisse la place… MOI, c’est pas urgent, MOI. C’est pour la rentrée 2017 ! ». Prenez-vous en main ! Achetez un agenda et mettez-vous au boulot !

5. Lâcher prise.

Fatigué de tout prévoir ! Stressé, la veille des vacances, à l’idée de reprendre le boulot dans déjà 2 mois. Blasé de toujours arriver le premier à la photocopieuse et de vous faire bousculer par votre collègue pressé qui regarde par-dessus votre épaule avec son haleine de poney et qui constate amèrement, « Vas-y ! Laisse-moi la place, fais pas le crevard ! Je vois bien que c’est des trucs pour dans 6 mois ! ». Lâchez prise ! Invitez les aléas, l’improvisation et la poésie dans le déroulement de vos séances.

6. Se mettre aux pédagogies innovantes.

Allez, dès la rentrée de janvier, on s’y met. La pédagogie inversée, la construction de scénarios pédagogiques, la pédagogie explicite, l’apprentissage hybride, fortuit ou incarné. La totale, quoi. On brûle le BLED éditions 1963 et on fabrique nous-mêmes nos outils à partir de toutes ces démarches innovantes. Et tient, pendant qu’on y est, soyons fous… inscrivons-nous au Café Pédagogique.

7. Se désinscrire du Café Pédagogique

Le café y est trop froid, la bière y est trop chaude, les toilettes sont trop propres et la serveuse, loin d’être sexy, ressemble trop à Maria Montessori.

8. Ranger sa classe.

Rassurez-vous, ce n’est pas une bonne résolution annuelle. Sinon, le rangement risque d’être long et parsemé de quelques surprises :

« Oh Stevie ! Qu’est-ce que tu fais là ? C’est gentil d’être passé me dire bonjour ? Tu dois être en quatrième maintenant, c’est ça ? »

- Euh non, en fait j’étais juste là, dans votre classe. Vous m’aviez puni il y a 6 ans. Et après je me suis retrouvé coincé entre une pile de cahiers non corrigés, une station météo en polystyrène, un rétroprojecteur rouillé et la balance de Robert Hue !

- Roberval, Stevie ! Allez, file au collège, tant pis pour le palier 2.

C'est une bonne résolution quotidienne. Mais comme elle me prend encore trop de temps chaque soir, je me promets de ranger au fur et à mesure le lendemain. Peine perdue.

9. Encourager, féliciter chaque jour.

C’est prouvé et logique, le compliment agit comme un booster sur la confiance en soi, et la confiance en soi sur les performances scolaires. Alors, même Amine le chouineur a le droit à son compliment dans la journée : « C’est bien Amine, tu n’as pleuré que 7 fois aujourd’hui. Je suis fier de toi ! ». Même pour Louane la boxeuse, on peut trouver quelque chose à dire « Bravo Louane, tu as pensé à dire à Calvin d’enlever ses lunettes avant de lui exploser le nez. La MAE te remercie. »

Ces compliments, on peut même les recycler. Alors à notre collègue dépressive, on pourra dire « C’est bien Amine Josiane, tu n’as pleuré que 7 fois devant tes élèves aujourd’hui. Je suis fier de toi ! ».

10. Décider encore et encore d’autres bonnes résolutions.

Ne nous limitons pas à la nouvelle année. Dans notre métier, nous avons la chance de redémarrer une année en septembre. C’est pour nous une autre occasion de prendre des bonnes résolutions. Et puis il y a toutes les petites rentrées après chaque période de petites vacances. Et les débuts de semaine aussi, pour repartir sur de bonnes bases le lundi matin.

Alors pour progresser encore et encore, jalonnons chaque nouvel instant de bonnes intentions et de désir de mieux faire.

Bonne année ! Bonne rentrée ! Bonne semaine ! Bonne journée !

Et dans cette myriade de bonnes résolutions, peut-être en tiendrons-nous au moins une.

Le top 10 des bonnes résolutions quand on est prof !
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9 décembre 2015 3 09 /12 /décembre /2015 14:11

« Mais vous avez quel âge, bordel ?

- Six ans, maître !»

Ah oui ! En effet, c’est pas vieux. Ça excuse peut-être votre immaturité.

Que je déteste faire ce genre de remarque : « Arrête de faire le bébé !», « C’est bon, on n’est plus en maternelle !» ou « Faudrait grandir un peu ! »…

Pourtant je me prends parfois en flagrant délit de maturité faisant méchamment remarquer à un enfant que c’est… un enfant. Et je le regrette aussitôt, prenant conscience du non-sens de mes propos.

« Bon les enfants, ça suffit ! Arrêtez de faire les enfants ! »

D’après Wikipédia, la maturité est l'étape dans laquelle se trouve un organisme qui a atteint son plein développement. Quand je vois la taille de mes CP, il semble évident qu’ils n’ont pas encore atteint leur plein développement.

Et moi-même, malgré mon plafonnement à 181 cm, ai-je vraiment atteint ce plein développement ? Dans le même article de Wikipédia, on parle de la maturité intellectuelle qui est plus difficile à évaluer, prenant comme exemple Einstein qui a mis au point la théorie de la relativité à l'âge de 37 ans, Mozart qui a composé le Requiem en ré mineur à 35 ans et Beethoven avec sa 9e Symphonie qu'il a composée à 54 ans.

Bon j’ai loupé le Requiem en ré mineur l’année dernière, mais si je me mets au boulot j’aurai peut-être pondu une théorie de la relativité pour mes 37 bougies, l’an prochain !

Et là je pourrai me vanter d’être mature. Enfin !

Parce que pour l’instant, à 36 ans, je patauge encore entre une enfance lointaine (mais pas trop), une adolescence pas encore totalement avortée et un monde adulte dans lequel je me sens souvent comme un môme. L’adulescent de la chanson d’Aldebert, c’est aussi moi.

Même mes CP peuvent en témoigner. Par exemple quand Directeur débarque dans ma classe en arborant un sac de piscine oublié depuis avant les vacances dans le couloir :

"C’est plus du moisi dedans, c’est carrément une croûte forestière !"

Je regarde mes ouailles d’un air faussement courroucé espérant bien qu’aucun d’entre eux ne reconnaîtra mon sac.

Ou quand je recherche régulièrement mon bonnet, mon écharpe ou une chaussette égarée dans la pile de vêtements perdus sur la table dans le hall de l’école. J’ai la hantise qu’un jour ma mère me traîne par l’oreille jusqu’à cette table et me colle le nez sur le tas d’habits en criant :

« Alors, il est où ton bonnet ? Hein ? Il est où ? Ca fait le 4ème cette année. Avec ton père, on en a marre ! ».

Ou lors des anniversaires, quand je me coupe un part de quatre-quarts plus grosse que les autres.

Ou lorsque j’écris des appréciations pas très personnalisées avec trois stylos attachés sur trois bulletins différents pour gagner du temps.

Ou quand je tire la chasse d’eau du bout du doigt avec déjà un pied en dehors des toilettes prêt à déguerpir comme un voleur parce que le bruit me fait peur.

Pour toutes ces choses, je me dis que mon organisme a encore quelques étapes à franchir avant la maturité. Et tant pis si je ne compose jamais un requiem, une symphonie ou une théorie. Une grosse part de quatre-quarts, c’est quand même plus sympa.

Et tous ces enfants à qui, dans un accès d’énervement, je demande de grandir, j’espère qu’ils ne le prennent pas au pied de la lettre.

Mais de ce côté-là, je ne me fais pas de souci ! Mes élèves prennent rarement au pied de la lettre ce que je leur dit quand je suis énervé. Pour preuve, quand je leur braille de se taire, ils me regardent étonnés pendant cinq secondes et reprennent leur conversation pas très perturbés par cette interruption.

Alors, plus tard, avec beaucoup de recul, je me dis qu’ils ont raison de ne pas se laisser faire par un type qui leur crie dessus.

Et que personne ne peut leur donner l’ordre de grandir.

Et que personne ne peut leur donner l’ordre de se taire.

Parce que par les temps qui courent, il est important de s’exprimer.

Des vrais gamins
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11 novembre 2015 3 11 /11 /novembre /2015 11:21

Depuis quelques années, notre école participe à « La mallette des parents ». Cette opération contribue à améliorer le dialogue entre les parents d’élèves et l’Ecole. Chaque enseignant ouvre sa classe pendant une semaine aux parents désireux d’infiltrer l’univers opaque de la classe de leur enfant.

Dans notre école, tous les collègues sont volontaires. Certains le sont spontanément et les autres passent quelques minutes dans le bureau de Directeur avant de le devenir.

C’est un peu pareil pour les parents. Le planning des visites peine toujours à se remplir. Il suffit que Directeur empoigne le téléphone pour que tous les parents se trouvent miraculeusement un moment de libre, un RTT pas encore posé ou un rendez-vous annulé qui leur permet de venir dans nos classes.

Directeur a loupé sa vocation. Je ne dis pas qu’il ne tient pas la route en tant que directeur (il lit le blog), je dis que s’il était commercial sur une plate-forme téléphonique avec une oreillette et un micro vissés autour de la tête toute la journée, il gagnerait chaque mois le voyage aux Seychelles, la tablette tactile, la yaourtière ou l’étui à lunettes que mettrait en jeu son manager pour le motiver.

Du coup, chacun de nous passe une semaine sous haute-tension avec deux ou trois parents au fond de sa classe en permanence.

- Ben quoi ? Vous avez quelque chose à cacher ? nous demande Directeur lorsqu’on hésite.

- Ben non ! Mais…euh…

Ben si, on a tout un tas de choses à cacher.

Madame Lafeuille, ce sont ces gâteaux et confiseries qu’elle engloutit à longueur de journée devant ses élèves qui salivent d’envie.

Monsieur Jeanti, c’est ce don qu’il a de s’endormir dans n’importe quelle position. Même celle où il est assis à écouter des élèves réciter leur poésie.

Madame Lécureuil, c’est cet onglet qui clignote en permanence sur son TBI pour lui annoncer que GrossesBalochesDu52 lui a envoyé un message sur Meetic.fr.

Et moi, c’est ma maladresse qui me fait prendre les pieds dans tous les cartables du monde, mon manque d’autorité qui transforme une bande de gentils élèves dociles en une meute de fous furieux hystériques et mon manque d’organisation chronique qui me fait perdre un temps fou.

- Maître tu cherches quelque chose ?

- Euh…non..enfin oui…peut-être !

- Ton stylo rouge ?

- OUI ! Enfin…oui peut-être. Il est où ?

- Sur ton oreille.

J’ai alors essayé de contrer les arguments de Directeur dans une vaine tentative.

- Pis t’en connais beaucoup toi, des professions qui ouvrent leur porte pour te laisser voir ce qu’ils font avec ton gamin ?

- Ben oui ! Dentiste, pédiatre, coiffeur, kiné, perceur d’oreille, clown…

Voilà comment, pendant une semaine, les parents de mes élèves venus voir un professeur en action se retrouvent nez à nez avec un garçon de café (image très juste, empruntée à Philippe Meirieu dans cet entretien que vous avez sans doute déjà croisé sur Facebook).).

Même si au début de la séance, tous les enfants sont sur la même ligne de départ, très vite ils se retrouvent tous dispersés aux quatre coins de la piste. Alors, commencent à résonner dans la classe des « Maître ! Maître ! » pressants qui se transforment vite à mes oreilles en « Garçon ! » « S’il vous plaît ! » « Hep, barman ! » , voire en « TAVERNIER !! » lorsque Loubna, 6 ans et demi, m’appelle de sa voix rauque de fumeuse.

Une lecture de consigne pour la 12 !

Un crayon de papier perdu pour la 8 !

Une gestion de conflit pour la 16 !

Une envie pressante pour la 2 !

Une explication pour la 7 !

L’addition pour la 15 !

Alors moi, un plateau à la main, je cours dans tous les sens, je shoote dans les cartables, je trébuche sur l’estrade, je renverse quelques trousses et tout cela sous l’œil attentif des parents éberlués.

Ensuite, le tablier déchiqueté et les semelles de chaussures fumantes, je me présente devant les parents et leur demande docilement : « Alors, qu’en avez-vous pensé ? ».

Bien-sûr, à moins d’avoir le fils de l’Inspectrice dans sa classe, il ne faut pas s’attendre à une réponse du genre : « Je vous ai trouvé très dispersé et plutôt flou dans vos objectifs de séance. Vous n’avez pas fait reformuler la consigne par les élèves. Et vous avez laissé s’installer un climat sonore très défavorable à la concentration et aux apprentissages. »

D’ailleurs, toute pertinente soit cette réponse, on ne l’accepterait pas d’un parent d’élève et on le remettrait illico à sa place d’un « Mais vous êtes qui vous pour me juger ? ».

Alors tous les parents répondent tout aussi docilement : « Euh..oui, c’était bien ! ».

Puis l’un d’eux ouvre une brèche : « En tout cas, vous avez bien du courage ! ». Et tous d’opiner intensément du chef « Oh oui oui ! Vous avez bien du courage ! »

Du courage ! C’est bien, ça ! C’est valorisant !

Du courage. Comme les héros maritimes qui s’engagent en solitaire sur une course autour du monde.

Du courage. Comme ces hommes qui sautent sur un autre armé d’une kalachnikov dans un Thalys.

Du courage. Comme cette jeune Pakistanaise prix Nobel de la Paix.

Non ! Dans leur bouche, le mot courage sonne autrement. Je perçois plus de pitié que d’admiration.

Mais qu’importe, je ne fais pas ce métier pour les honneurs ou pour la considération !

Je ne fais plus ce métier pour ça.

Philippe Meirieu a omis de le mentionner dans son entretien, mais à chaque fin de service, le garçon de café compte les nombreux pourboires qui viennent grassement enrichir son salaire fixe. Et c’est aussi pour ça que j’aime ce métier : les pourboires. Les sourires, les dessins, les progrès, les invitations aux anniversaires, les petits cadeaux que mes élèves laissent dans la tip-box posée sur mon bureau.

Et c’est ça qui me donne du courage.

École ouverte
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