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16 novembre 2016 3 16 /11 /novembre /2016 13:21

 

En sortant du préau, je m’abrite sous mon pull pour me protéger des petits grêlons qui tombent du ciel. Il est 13h45 et je vais chercher mes élèves dans la cour. Bien entendu, ils ne sont pas rangés. Déjà sous le soleil, ils ne savent pas se ranger, alors sous la grêle, faut voir le cirque. Une vraie fourmilière ! Bon, avec que 20 fourmis, mais c’est quand même l’effet que ça me fait quand je les vois courir dans tous les sens, les mains tendues, la bouche ouverte, les yeux fermés.

 

Seul Jason m’attend calmement avec un sourire béat devant la poubelle, notre point de repère pour se ranger.

 

-       Maître, il neige. On va avoir des cadeaux.

Je comprends tout de suite le raccourci mais je n’ai ni le temps ni l’humeur de m’attarder sur ce genre d’émerveillement puéril. Alors, en mode adulte pas sympa, je lui assène un violent : « C’est pas de la neige, c’est de la grêle » et je hurle aux 19 fourmis loin d’être perturbées par ma présence, de se ranger fiça parce que la grêle ça fait mal.

 

De retour en classe, l’ascension de 2 étages, n’a pas calmé mes élèves. Et dans ma tête raisonne la voix de ma grand-mère : « Ah, ça sent la neige ! ». Prédiction récurrente de l’arrivée de la neige en fonction du degré d’excitation des enfants. Et ça marchait tout le temps. Bon, je vous avoue que dans la région de mon enfance, la neige tombait en hiver aussi souvent qu’un enfant peut être excité et que ma mamie se gardait bien de sortir ce genre de prémonition sous le soleil de juillet.

 

Mais, une fois de plus, ça n’a pas loupé, il s’est mît à neiger. Pas grand-chose. Juste deux trois malheureux flocons qui avaient l’air tout perdu dans le ciel gris et qui hésitaient vraiment à descendre sur le bitume de la cour où ils allaient fatalement disparaître.

Pas grand-chose mais juste assez pour que Jason s’en aperçoive et donne un grand coup de pied dans la fourmilière qui, à mon grand plaisir, avait fini par s’assagir pendant l’écriture.

 

-       Il neige. On va avoir des cadeaux.

 

Cette fois-ci, les autres élèves l’entendent et s’engagent dans la brèche.

-       Ah oui, c’est l’hiver.

-       Et en hiver, il y a Noël.

-       Et à Noël, on a des cadeaux.

 

Et Jason, les yeux fixés sur l’horloge de la classe, demande :

-       C’est bientôt Noël, Maître ?

-       Oui…enfin non ! C’est pas pour tout de suite, tout de suite. Il va falloir patienter encore un peu.

-       Patienter combien ? demande Samir.

-       Combien, quoi ?

-       Ben, combien de… minutes ?

 

Et là, oubliant que je m’adresse à Samir, le pauvre Samir qui a bien des difficultés à compter au-delà de la dizaine, je lui adresse un méchant :

-   Plus que tu ne peux en compter en tout cas.

 

Voilà, c’est ma spécialité, ça. Les boulettes ! Les pieds dans le plat ! Les grosses gaffes. Comme quand j’avais annoncé dans le blog de l’école que le papa de Selma ouvrirait la course des CP pour le cross et que ce dernier s’était présenté le lendemain à l’école dans son fauteuil roulant pour me demander de démentir l’information. Ou quand j’avais lancé une série de boutades plutôt pataudes à Madame Jouille et son appétit d’oiseau, avant de comprendre mon erreur en voyant les regards affolés de mes collègues qui m’ont confirmé plus tard que la pauvre était anorexique.

 

Je rattrape alors rapidement ma maladresse :

-       D’ailleurs, même Giulia (désignée par les autres comme la meilleure élève de la classe) ne pourrait pas compter toutes les minutes jusqu’à Noël… tellement c’est encore loin.

 

Mais Samir ne lâche pas l’affaire :

-       En jour alors ! Combien ?

 

Nous voilà en pleine séance de Découverte du monde, nouvellement dénommée Questionner le monde et que j’appellerais moi, plus volontiers, Questionner le Maître.

 

Alors je m’adapte. Je sors à l’arrache quelques outils pour qu’ils trouvent leur réponse eux-mêmes : le calendrier, l’affiche des saisons, le tableau du rituel Chaque jour compte…

 

On compte les jours, on compare les saisons, on élude la question de l’existence du Père-Noël, on parle un peu religion, ou plutôt laïcité, on récite les jours de la semaine, on chante les mois de l’année… Et on en conclut que Noël c’est bientôt mais pas trop. Que tout est relatif. Que le rendez-vous chez l’ophtalmo en juillet 2018 paraît moins loin que Noël prochain tellement ça nous tarde.

 

Et quand je leur dis de terminer l’écriture car il est bientôt temps de descendre en EPS, une partie de classe met inconsciemment en application ce que l’on vient d’apprendre en criant « Déjà ?!? ».

 

Alors Alix qui me voit sourire, s’illumine et déclare : « C’est vrai que c’est passé plus vite que quand on fait lecture ! »

 

Bizarrement, le seul que cette séance improvisée n’a pas captivé, c’est Jason, celui qui en est à l’origine. Il a passé son temps les yeux fixés sur l’horloge. L’agitation la classe semble alors le sortir de ses rêves. Il se lève d’un seul coup en me montrant l’horloge et la grande aiguille qui a bougé de quelques graduations et me demande :

 

-       Et là ? C’est bientôt Noël, là ?

Patience
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