Quand il y a une semaine, l’affaire des écoutes de Patrick Buisson a retenti sur les ondes de ma radio, je m’attendais à de la grosse révélation. J’espérais du lourd, du
sensationnel, du Watergate à la française. Je pensais que des têtes allaient tomber. Que la balance de la Justice allait enfin pencher en défaveur de politiques véreux.
Malheureusement, mes espoirs (et ceux des journalistes) se sont évanouis dans le son pourri qu’on pouvait entendre de la poche de la chemise du conseiller de l’ancien Président. On espérait
quelque chose de clair et net, du genre :
Sarkozy : Carla, tu me feras penser à envoyer une couronne fleurie pour les obsèques de Mouammar.
Carla : Khadafi ?
Sarkozy : Ben oui, tu sais, celui qui a financé ma campagne présidentielle.
Carla : Ok.
Sarkozy : Ou alors, non, j’ai une meilleure idée. Demande à Bernard de lui en envoyer une.
Carla : Tapie ?
Sarkozy : Ben oui, il me doit bien ça. Les 403 millions de l’arbitrage pour l’affaire Adidas, c’est quand même grâce à bibi qu’il les a touchés.
Mais non. Rien de tout cela dans le dictaphone. Rien d’exploitable dans un tribunal. Les politiques ne sont peut-être pas si « tous pourris » que ça. Ou alors très prudents. Et les
affaires vraiment délicates, ils ne les abordent qu’en langage des signes.
Les journalistes se sont alors rabattus sur des informations de seconde zone. Une médiocre piquette qu’ils ont servie à leurs lecteurs et auditeurs faute de mieux.
Les journalistes : Sur ces enregistrements, on entend Untel dire qu’Untel est incompétent, Unetelle dire d’Untel qu’il est calamiteux et qu’Unetelle ne dit que des
conneries.
Le message des journalistes étaient peut-être : Regardez-moi ces politiques comme ils sont mesquins.
Mesquins, peut-être. Mais pas plus qu’un guichetier de La poste, qu’un ingénieur en aéronautique ou qu’un animateur télé. Pas plus mesquins qu’une caissière de Monoprix, qu’une chef d’entreprise
ou qu’une chanteuse lyrique.
C’est le lot quotidien de chacun dans le monde du travail de chercher, trouver, souligner et partager les petits défauts de ses collègues.
Alors, enfin, l’élite politique de notre pays redevient humaine à mes yeux. Les couloirs de l’Elysée me semblent plus proches. Ils ressemblent maintenant aux salles de pause du Cora où les
employés critiquent, pourrissent et bavent sur leurs collègues absents.
Plus proche encore, car ils ressemblent à s’y méprendre à une salle des maîtres.
Quel professeur digne de ce nom n’a jamais cancané sur ses collègues adorés. Une petite vanne par-là, une grosse critique par-ci et nous voilà d’aplomb pour débuter la journée de bonne humeur.
Cela s’appelle le bashing et ce sera peut-être dans nos futurs nouveaux programmes comme unité d’enseignement.
La ponctualité, l’autorité, les méthodes pédagogiques, la flemmardise et même la tenue vestimentaire sont des sujets intarissables pour rigoler entre paires sur le dos d’autres paires.
Et le physique ? Ah non, on a dit pas le physique ! Qui a dit ça ? Qui a inventé cette règle inepte censée limiter les dérives du cancanage en restreignant les critiques à des
sujets dont la nature n’est pas responsable ?
Alors oui, le physique aussi. Les rondeurs de Madame Lafeuille, les poils de nez de Monsieur Janti et même les implants capillaires de Directrice.
Plusieurs fois par jour, les salles des maîtres de toutes les écoles du monde, comme les loges de tous les théâtres du monde, comme les salles de pauses de toutes les boîtes du monde, comme les
couloirs de tous les Elysées du monde sont les témoins de terribles procès sans victime où seule l’accusation a la parole. Des procès d’où sont exclus les avocats et les témoins de la défense, et
surtout l’accusé.
Une petite pensée pour Georges Lopez, l’instituteur d’Être et avoir, et tous nos collègues enseignant en classe unique. Une pensée émue pour ces cocottes minutes pressurisées qui ne peuvent même
pas évacuer un peu de pression en pourrissant un collègue en salle des maîtres.
Sans oublier enfants et parents qui sont aussi des victimes faciles de nos médisances. Car, bien-sûr, quand toute l’équipe est présente, la décence nous dicte de se rabattre sur quelqu’un
d’autre. Encore un privilège de l’Education Nationale : la multitude d’exutoires possibles après une dure journée.
Bien-sûr, il ne faut pas être dupe. Chacun de nous, aussi parfait soit-il, se retrouve régulièrement au centre des allégations de ses collègues.
Pour ma part, pour éviter qu’on me pourrisse sur la place publique, je suis un précepte simple que Madame Cressot, ma prof de catéchisme m’a enseigné il y a 27 ans. D’après l’Evangile de Jésus
Christ selon Mathieu 18, 15-20 :
Jésus : Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d'eux.
Mathieu : Ben, pourquoi ?
Jésus : Comme ça, ils ne peuvent pas dire du mal de moi.
Malin, Jésus ( bel oxymore). Du coup, à l'école, je suis omniprésent voire omniscient. Je cours partout pour m'incruster dans toutes les conversations de l'école. C’est très fatigant mais ça
évite à mes oreilles de siffler.
Mais depuis l’affaire Buisson, la donne a changé. Personne n’est à l’abri d’un dictaphone trop curieux qui trainerait dans une poche trop ouverte.
Maintenant, dans les salles des maitres, l’ambiance est à la suspicion. Tout le monde se soupçonne. Chacun cherche son Buisson. La moindre poche bombée, le moindre déclic suspect provoque
la défiance. Alors on ne cancane qu’entre gens de toute confiance après une fouille au corps rapprochée.
L’affaire Buisson n’a peut-être pas sonné le glas des ambitions de notre ancien gouvernement, mais sera-t-elle à l’origine de la fin de ce sport national qu’est le bashing.
Je ne l’espère pour rien au monde. J’ai encore envie de médire à tour de bras et que mes oreilles sifflent aussi fort qu’elles le peuvent.
Car qui aime bien, châtie bien.
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