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12 mars 2014 3 12 /03 /mars /2014 08:00

Quand il y a une semaine, l’affaire des écoutes de Patrick Buisson a retenti sur les ondes de ma radio, je m’attendais à de la grosse révélation. J’espérais du lourd, du sensationnel, du Watergate à la française. Je pensais que des têtes allaient tomber. Que la balance de la Justice allait enfin pencher en défaveur de politiques véreux.

Malheureusement, mes espoirs (et ceux des journalistes) se sont évanouis dans le son pourri qu’on pouvait entendre de la poche de la chemise du conseiller de l’ancien Président. On espérait quelque chose de clair et net, du genre :

Sarkozy : Carla, tu me feras penser à envoyer une couronne fleurie pour les obsèques de Mouammar.
Carla : Khadafi ?
Sarkozy : Ben oui, tu sais, celui qui a financé ma campagne présidentielle.
Carla : Ok.
Sarkozy : Ou alors, non, j’ai une meilleure idée. Demande à Bernard  de lui en envoyer une.
Carla : Tapie ?
Sarkozy : Ben oui, il me doit bien ça. Les 403 millions de l’arbitrage pour l’affaire Adidas, c’est quand même grâce à bibi qu’il les a touchés.

Mais non. Rien de tout cela dans le dictaphone. Rien d’exploitable dans un tribunal. Les politiques ne sont peut-être pas si « tous pourris » que ça. Ou alors très prudents. Et les affaires vraiment délicates, ils ne les abordent qu’en langage des signes.

Les journalistes se sont alors rabattus sur des informations de seconde zone. Une médiocre piquette qu’ils ont servie à leurs lecteurs et auditeurs faute de mieux.

Les journalistes : Sur ces enregistrements, on entend Untel dire qu’Untel est incompétent, Unetelle dire d’Untel qu’il est calamiteux et qu’Unetelle ne dit que des conneries.
 
Le message des journalistes étaient peut-être : Regardez-moi ces politiques comme ils sont mesquins.

Mesquins, peut-être. Mais pas plus qu’un guichetier de La poste, qu’un ingénieur en aéronautique ou qu’un animateur télé. Pas plus mesquins qu’une caissière de Monoprix, qu’une chef d’entreprise ou qu’une chanteuse lyrique.

C’est le lot quotidien de chacun dans le monde du travail de chercher, trouver, souligner et partager les petits défauts de ses collègues.

Alors, enfin, l’élite politique de notre pays redevient humaine à mes yeux. Les couloirs de l’Elysée me semblent plus proches. Ils ressemblent maintenant aux salles de pause du Cora où les employés critiquent, pourrissent et bavent sur  leurs collègues absents.

Plus proche encore, car ils ressemblent à s’y méprendre à une salle des maîtres.

Quel professeur digne de ce nom n’a jamais cancané sur ses collègues adorés. Une petite vanne par-là, une grosse critique par-ci et nous voilà d’aplomb pour débuter la journée de bonne humeur.


Cela s’appelle le bashing et ce sera peut-être dans nos futurs nouveaux programmes comme unité d’enseignement.

La ponctualité, l’autorité, les méthodes pédagogiques, la flemmardise et même la tenue vestimentaire sont des sujets intarissables pour rigoler entre paires sur le dos d’autres paires.

Et le physique ? Ah non, on a dit pas le physique ! Qui a dit ça ? Qui a inventé cette règle inepte censée limiter les dérives du cancanage en restreignant les critiques à des sujets dont la nature n’est pas responsable ?

Alors oui, le physique aussi. Les rondeurs de Madame Lafeuille, les poils de nez de Monsieur Janti et même les implants capillaires de Directrice.

Plusieurs fois par jour, les salles des maîtres de toutes les écoles du monde, comme les loges de tous les théâtres du monde, comme les salles de pauses de toutes les boîtes du monde, comme les couloirs de tous les Elysées du monde sont les témoins de terribles procès sans victime où seule l’accusation a la parole. Des procès d’où sont exclus les avocats et les témoins de la défense, et surtout l’accusé.

Une petite pensée pour Georges Lopez, l’instituteur d’Être et avoir, et tous nos collègues enseignant en classe unique. Une pensée émue pour ces cocottes minutes pressurisées qui ne peuvent même pas évacuer un peu de pression en pourrissant un collègue en salle des maîtres.

Sans oublier enfants et parents qui sont aussi des victimes faciles de nos médisances. Car, bien-sûr, quand toute l’équipe est présente, la décence nous dicte de se rabattre sur quelqu’un d’autre. Encore un privilège de l’Education Nationale : la multitude d’exutoires possibles après une dure journée.

Bien-sûr, il ne faut pas être dupe. Chacun de nous, aussi parfait soit-il, se retrouve régulièrement au centre des allégations de ses collègues.

Pour ma part, pour éviter qu’on me pourrisse sur la place publique, je suis un précepte simple que Madame Cressot, ma prof de catéchisme m’a enseigné il y a 27 ans. D’après l’Evangile de Jésus Christ selon Mathieu 18, 15-20 :

Jésus : Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d'eux.
Mathieu : Ben, pourquoi ?
Jésus : Comme ça, ils ne peuvent pas dire du mal de moi.

Malin, Jésus ( bel oxymore). Du coup, à l'école, je suis omniprésent voire omniscient. Je cours partout pour m'incruster dans toutes les conversations de l'école. C’est très fatigant mais ça évite à mes oreilles de siffler.

Mais depuis l’affaire Buisson, la donne a changé. Personne n’est à l’abri d’un dictaphone trop curieux qui trainerait dans une poche trop ouverte.

Maintenant, dans les salles des maitres, l’ambiance est à la suspicion. Tout le monde se soupçonne. Chacun cherche  son Buisson. La moindre poche bombée, le moindre déclic suspect provoque la défiance. Alors on ne cancane qu’entre gens de toute confiance après une fouille au corps rapprochée.

L’affaire Buisson n’a peut-être pas sonné le glas des ambitions de notre ancien gouvernement, mais sera-t-elle à l’origine de la fin de ce sport national qu’est le bashing.

Je ne l’espère pour rien au monde. J’ai encore envie de médire à tour de bras et que mes oreilles sifflent aussi fort qu’elles le peuvent.

 

Car qui aime bien, châtie bien.

 

 

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12 février 2014 3 12 /02 /février /2014 07:38

 

A l’heure des revendications, des manifestations et autres révolutions, j’avoue ne pas être un enseignant engagé. Je dirais même, en plagiant Pierre Desproges, que je suis du genre dégagé. Les slogans, les banderoles, les pavés, ça ne me fait pas vibrer. Je rentre dans le troupeau et suis bêtement mes paires jusqu’au faux pas qui nous entraînera tous par-dessus bord.

 

Il n’y a qu’une chose cependant qui me fait lever la tête de l’herbe verte pour regarder par-dessus le troupeau par moment, quand justement l’herbe n’est plus verte.

 

L’état de notre planète.

 

Quand il s’agit de prendre la défense de cette pauvre Terre martyrisée par ses locataires, je sors de ma léthargie et brandis bien haut mon poing à la manière d’Amel Bent pour exprimer mon mécontentement.

 

A l’école, je m’insurge. Contre les robinets poussoirs qui déversent des mètres cubes de flotte pour des mimines d’à peine 30 cm2. Contre les collègues qui n’éteignent pas leur classe pendant les récréations. Contre les écrans d’ordi qui restent en veille pendant toutes les vacances. Contre le chauffage détraqué qui nous poussent à ouvrir nos fenêtres même en plein hiver alors que les collègues du rez-de-chaussée sont obligés de s’équiper de radiateurs électriques pour faire fondre les stalactites qui tombent du nez de leurs élèves.

 

Ce n’est pas de tout repos d’être écolo.

 

Il y a ces mouchoirs en papiers remplis de glaires qu’il faut quotidiennement retirer de la poubelle du tri à mains nues en rappelant aux élèves qu’ils ne sont pas recyclables.

 

Il y a aussi cette mère furax qui m’avait attrapé par le col parce que j’utilisais des brouillons pour faire les photocopies de ma classe. Et que j’avais malencontreusement utilisé le verso du bulletin de son 6ème de fils qui nous est remis par le collège à nous enseignant du CM2 pour suivre un brin de chemin de nos anciens élèves. Et que, par le biais d’un de mes élèves, ce bulletin révélant clairement l’état chaotique de la scolarité du collégien s’était retrouvé affiché dans la cage d’escalier dudit 6ème  qui était devenu la risée de tout son voisinage.

 

Il y a ces moments de  réflexion soutenue dans la salle de la photocopieuse pour réduire le plus possible mon utilisation de papier. Des montages tordus d’exercices qui doivent tenir sur un A4 et qui me rappellent mon record de 186 lignes à Tétris sur mon Game-Boy première génération.

 

Il y a ce sac d’épluchure destiné au composteur du jardin de l’école qui était resté dans le casier d’Akim pendant toutes les vacances. Qui nous avait montré que les épluchures de carottes mélangées aux peaux de kiwi et aux fanes de  poireau se dégradent très bien sous l’action du chauffage détraqué de l’école et que même le cahier du jour et le livre de géographie peuvent se dégrader.

 

Il y a aussi mes collègues qui râlent parce qu’ils perdent 32 précieuses secondes chaque matin lors du préchauffage de l’imprimante que j’éteins chaque soir avant de partir.

 

Il y a ce blâme de l’Inspectrice qui avait eu connaissance d’une sortie pédagogique où mes élèves s’étaient allongés sur les rails pour stopper un convoi de déchets nucléaires qui traversait la France. J’ai échappé aux tribunaux et aux lynchages de parents de justesse parce que nous n’étions allés que sur une voie désaffectée qui mène à une ancienne forgerie à la sortie de la ville.

 

Mais il y a aussi des petites victoires.

 

Il y a le composteur du jardin qui déborde et qui réduit considérablement le poids des poubelles du quartier. Mais qui embaume la cour de récréation par vent d’Est.

 

Il y a Sonia, ma collègue qui me montre fièrement qu’elle s’est mise au tri sélectif dans sa classe. Et qui exhibe sa poubelle à papier électrique flambant neuve très loin de l’esprit Développement Durable mais devant laquelle je ferme les yeux pour ne pas la décourager.

 

Il y a Mehdi et Lucie qui rivalisent d’imagination et qui s’amusent à dessiner le futur apocalyptique qui leur tarde de voir.

 

Mais c’est ça le problème. Mes élèves s’amusent.

 

J’ai pourtant essayé de créer une terreur sourde autour de ce sujet. Quand j’en parle en classe, je prends la voix off des bandes-annonces des films d’épouvante.  J’échafaude des scénarii catastrophes plus que terrifiants pour leur avenir proche. Je leur explique comment ils vont perdre leur peau dans un premier temps, puis comment leurs globes oculaires vont exploser dans leurs orbites. Et pour finir je leur décris la mort la plus atroce possible.

 

Tout ça parce qu’ils n’ont pas mis le papier dans la bonne poubelle.

 

La pédagogie par la terreur.

 

Mais ça les amuse.

 

Ils s’amusent de me voir traverser la classe, grimaçant, avec un kleenex dégoulinant de morve au bout de mon bras entre le pouce et le index.

 

Ils s’amusent de mes incursions systématiques dans la classe des collègues pour éteindre leur lumière lors de notre longue traversée du couloir jusqu’à la cour de récré.

 

Ils s’amusent à reconnaitre de quels films catastrophes sont extraits les posters montrant des scènes apocalyptiques du futur affichés dans la classe entre les règles de conjugaison et la carte de France des McDo.

 

Ils s’amusent à découvrir au dos de quel document a été photocopiée leur fiche d’exercices. Quel bulletin scolaire, quelle fiche de paie,  quelle autorisation d’absence. Quel document compromettant pourront-ils afficher dans un endroit public.

 

Ça les amuse ?

 

Très bien.

 

Dans 50 ans, quand nos cheveux  s’embraseront sur notre crâne meurtri. Quand nos dents se déchausseront au moindre bâillement. Quand les ours polaires côtoieront les chameaux. Quand Copacabana sera sous les eaux et que les Jeux Olympiques d’été se dérouleront au cœur de l’Himalaya. Moi, assis sur un transat, un Pont à la main à contempler la source du Doubs dans  le seul endroit vivable de France, je ne me retiendrai pas de leur dire que je les avais prévenus.

 

Moi : Des douches, les enfants ! Des douches, pas des bains !

 


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14 décembre 2013 6 14 /12 /décembre /2013 15:45

Depuis le début de l’année, les garçons de ma classe sont atteints  d’une étrange maladie psychologique. Un sujet les obsède, ôtant de leur cerveau la place nécessaire aux apprentissages scolaires. Une monomanie qui les tourmente au point de ne plus parler que de ça dans leurs bavardages intempestifs, dans les rangs, dans la cour, dans leurs rédactions, dans leurs dessins, dans leur sommeil (j’imagine).

 

Le football !

 

J’aurais aimé participer au combat contre les clichés, j’aurais souhaité tordre le cou à certaines idées reçues. Malheureusement ce fléau, cette obsession caractérisée du ballon rond ne concerne qu’une partie de ma classe. Et tant pis pour le catalogue de jouets qui lutte contre le sexisme, mais dans ma classe, la personne qui pose sur la photo en tenue de foot avec un pied sur le ballon est bien un garçon. L’obsession des filles sera peut-être le sujet d’un prochain article : elle se prénomme Violetta.

 

Le football a un pouvoir invasif. Il s’insinue jusque dans les programmes scolaires bien malgré moi.

 

En géographie :

 

Moi : Citez-moi les principales villes françaises.

Lucas : L’OM, le PSG, le LOSC…

Moi : Ah non, ça, ce sont des clubs de foot. Je veux des villes.

Karim : Evian-Thonon-Gaillard.

Moi : Encore un club de foot. Mais tu m’as quand même cité trois villes, on progresse. Mais j’ai demandé les principales villes. Les plus grandes.

Karim : Trois villes ?

Moi : Oui ! Evian, Thonon et Gaillard. C’est une fusion de plusieurs clubs issus de ces trois villes.

Memhet : Aaaaaah ! C’est pour ça qu’ils ont battu le PSG. Ils étaient trois contre un !

Les autres (comprenant) : Aaaaaah ! C’est pour ça.

 

En histoire :

 

Moi : Quel pays Napoléon a-t-il battu à Austerlitz !

Elliot : L’Ukraine !

Moi (levant les yeux au ciel) : …

Bilal : Oui ! Il les a même battus 3-0 !

Les autres (levant les bras en l’air) : OUAAAAAAAAAAIS !!!!

 

En histoire des arts :

 

Moi : Alors ! Comment il s’appelle ce célèbre musée parisien ? Vous savez, celui qui a la Joconde.

Fred : Le parc des Princes !

 

En éducation à la citoyenneté :

 

Karim : Maître, il y a une erreur dans le livre.

Moi : Ah bon !

Karim : Ils disent que la fête nationale française, c’est le 14 juillet.

Lucas : T’as raison. Ils se sont trompés !

Moi : Ben non, c’est ça.

Karim : Mais c’est pas le 14, c’est le 12 juillet !

Moi : Non, c’est le 14 !

Lucas : Mais non, vous aussi vous vous trompez.

Karim : En plus, vous, vous étiez déjà né et on sait mieux que vous.

Moi : En 1789, je n’étais pas né.

Karim : Mais non, nous, on parle de 1998 !

Les autres (chantant) : OUAAIIIIS ! Et 1, et 2, et 3 – zéro !

 

En vocabulaire :

 

Moi : Dans la vie professionnelle, pour réussir il faut être… il faut être…

Les mômes : ….

Moi : Il faut être r…. r….

Les mômes : ….

Moi : Il faut être ri…

Allan : Ribery !!!

Les autres (scandant) : OUAAIIIS ! Le ballon d’or ! Le ballon d’or !

Moi (blasé) : Non, il faut être rigoureux.

 

 

Mais parfois, les filles s’y mettent aussi :

 

Moi (venant d’expliquer la consigne d’un exercice) : Des questions ?

 

Justine lève la main. L’intello de la classe. Celle qui parfois m’explique mes propres consignes.

 

Moi (sincèrement surpris) : Justine, quelque chose que tu ne comprends pas ?

Justine : Oui, la règle du hors-jeu au foot !

 

Cette ambiance est de plus en plus pesante dans ma classe. Je ne peux plus faire un pas pédagogique sans tomber sur le spectre du ballon rond qui hante la totalité de mes garçons.

 

Je sais que cette obsession va s’accroitre jusqu’au mois de juin 2014. Elle atteindra son paroxysme le 15 juin un peu avant 16h, heure du coup d’envoi du premier match de la France dans la coupe du monde 2014.

 

A partir de là, cela s’atténuera. Le football quittera petit à petit les esprits de mes élèves. Jusqu’à complétement disparaître le 25 juin à la fin du dernier match de groupe de notre équipe nationale quand le coup de sifflet final sonnera le glas des espoirs des millions de mômes dont font partie les garçons de ma classe. Quand les bleus ne seront même pas qualifiés pour les huitièmes de finales.

 

Alors, enfin, le programme scolaire reprendra ses droits. Et il me restera une dizaine de jours pour préparer mes élèves à la sixième.  

 

http://www.coloriage.tv/js/coupe-du-monde.png

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13 octobre 2013 7 13 /10 /octobre /2013 07:30

Chaque année,  je scrute le calendrier réligieux musulman en salivant.

aidJ'attend que la Lune se transforme en bourreau le temps d'une observation de la Cour suprême de l'Arabie Saoudite et qu'elle enterine, avec son croissant, le sort des quelques milliers de pauvres moutons.

Ce n'est pas le croissant qui me fait saliver. Encore moins, le mouton égorgé se noyant dans une baignoire rempli de son propre sang.

Ce n'est pas non plus le fait que ma classe sera réduite à un effectif d'équipe de basketball (sur le terrain). 

Non, ce sont les pâtisseries cuisinées pour l'occasion : les makrouts, les cornes de gazelle, les ghrybias et autres ghriwechs.

Mais les traditions se perdent et chaque année ma gourmandise est de moins en moins satisfaite. Et ce n'est pas la charte sur la laïcité qui va arranger les choses.

Alors cette année, j'ai pris le mouton par les cornes. J'ai prévenu mes élèves :

  • qu'ils vaquent le mardi 15 octobre
  • qu'ils se reposent
  • qu'ils mangent du mouton à ma santé
  • mais surtout qu'ils fassent leurs devoirs pour jeudi... et leurs parents aussi !

 

devoirs

 

Et tant pis si la leçon sur Louis XIV et le poème ne sont pas correctement sus. En CM2, ils doivent être capables d'identifier les priorités parmi les tâches imposées par le maître.

 

 

A suivre...

 

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2 octobre 2013 3 02 /10 /octobre /2013 10:00

Le 4 mai 1789, une procession défile dans les rues de Versailles devant une foule venue en masse pour applaudir les participants. D’abord, en habits noirs, les 19 députés du Tiers-Etat défilent la tête haute, fiers d’avoir été choisis par le peuple pour le représenter devant le Roi.

 

Le Roi : Lucas, la tête haute, on a dit. Redresse-toi !

 

Ensuite, les deux députés de la Noblesse font leur entrée sous les huées du public.

 

La Reine : Ooooooh ! Les CM1/CM2, si vous ne voulez pas qu’on retourne en classe, faut vous calmer tout de suite.

 

Le public parisien se calme. Et enfin, après le passage des trois députés du Clergé, arrivent le Roi et la Reine.

 

Des ricanements émanent du peuple et des députés. Des sourires aussi. Des regards éloquents qui en disent long sur leurs pensées.

 

Le Roi : Y’a un problème ? C’est le Roi et la Reine qui vous font marrer ? Je vous rappelle que le couple Royal était respecté et craint. Que personne ne se permettait de ricaner sur leur passage.

 

Sonia, la maîtresse des CM1/CM2 qui a un tempérament plutôt sanguin sort de son personnage de Marie-Antoinette.

 

Sonia : Et si c’est le maître et la maîtresse qui jouent au Roi et à la Reine qui vous font marrer, vous aurez affaire à moi après la reconstitution.

 

Le cortège se rend dans la salle polyvalente. Le Roi fait un discours un peu ennuyant qu’il abrège quand il voit que les députés piquent du nez.

 

Une main se lève.

 

Le Roi : Oui Lucas ?

Lucas : Moi, je veux pas être du Tiers-Etat. On peut changer ?

Le Roi : C’est quoi le problème avec le Tiers-Etat.

Lucas : J’ai pas envie de finir comme sur la gravure du livre avec Amine et Gaëlle sur mon dos sous prétexte qu’ils sont du clergé et de la noblesse.

Le Roi : Fais un effort, c’est l’histoire d’un après-midi. En plus, c’est le tirage au sort qui a choisi.

Lucas : N’empêche que le Roi et la Reine n’ont pas été choisis par tirage au sort.

Le Roi : Ça, c’est une question de crédibilité.

Lucas : Et vous trouvez ça crédible que ce soient Amine, Hamza et Ali les députés du Clergé ?

Le Roi : Je ne sais pas ce que tu insinues. Mais au cas où je l’aurais compris, je t’invite à descendre immédiatement dans le bureau de la Directrice et à copier une dizaine de fois la charte sur la laïcité à l’école.

 

La réunion des Etats Généraux reprend. Le Roi et la Reine demandent aux députés de sortir le travail qu’ils devaient effectuer pour donner matière au débat : les cahiers des doléances.

 

L’un des députés du Tiers-Etat avoue ne pas avoir fait ses devoirs. Devant les gros yeux du Roi, tel un Perry Mason sûr de lui,  il mentionne l’arrêté du 23 novembre 1956 relatif à la suppression des devoirs à la maison. Le Roi se rappelle que le Tiers n’est pas constitué que de péquenots illettrés qu’il peut embrouiller avec des lois caduques. Cette caste est aussi constituée de commerçants, médecins et autres notaires. Celui-là doit être avocat. Mais cela ne change rien au respect qu’il doit au Roi, alors il l’invite lui aussi à se retirer de la réunion et à effectuer son travail en retard dans un coin de la salle polyvalente.

 

Mathilde : Maître, on n’est plus que 17 députés du Tiers-Etat.

Kheira : Ça change rien. Même avec 200 députés, vous perdrez quand même. Parce qu’on vote par ordre.

 

Le Roi est satisfait que son travail d’enseignant porte ses fruits auprès de certains élèves.

 

Il l’est un peu moins quand il se penche sur les cahiers de devoirs. Il avait bien précisé qu’il fallait trouver des solutions aux problèmes financiers de la France. Or, dans chacun de leur cahier, les députés ont rapporté des doléances liées à leurs conditions de vie. Rien pour la patrie. Juste le culte du chacun pour soi.

 

« Autoriser les chewing-gums en classe. » « Allonger le temps de récréation. » « Interdire les devoirs…pour de vrai cette fois. » « Avoir le droit d’écrire au bleu turquoise dans le cahier du jour. »

 

Louis XVI s’arrache les cheveux et décide de dissoudre le conseil des Etats Généraux.

 

Le Roi : Sortez tous en récréation !

 

Mais dans la cour, la majorité des députés du Tiers et quelques députés des deux autres ordres restent groupés et se réunissent sous le préau. Ils jurent de ne pas se séparer avant d’avoir créé un nouveau règlement pour l'école : c’est le Serment du Préau.

 

Ensuite tout va très vite. De retour en classe, le Roi sent bien qu’un parfum de rébellion flotte dangereusement dans l’air. Les députés commencent à le prendre à partie. Le Roi a beau se dresser sur l’estrade pour impressionner son peuple, cela ne fonctionne plus. Il se retourne alors vers le dernier de ses élèves qui lui est resté fidèle, Grégory-dit-le-lèche-cul.

 

Le Roi : Mais… c’est une révolte.

Grégory : Non Sire, c’est une révolution.

 

Le Roi prend peur. Il décide d’aller chercher de l’aide dans la salle des maîtres. Là-bas, il rassemblera ses alliés pour tenter de dissuader le peuple d’une quelconque action contre la monarchie.

 

Malheureusement, alors qu’il s’apprête à descendre l’escalier, il croise Lucas, le député du Tiers-Etat qu’il a puni en début d’après-midi. Celui-ci le reconnait et alerte immédiatement ses camarades qui accourent pour empêcher le Roi de fuir.

 

Quand il arrive en classe escorté par les révolutionnaires, Louis XVI prend tout de suite la mesure de la sanction qui l’attend. Un de ses élèves, qu’il ne reconnaît pas, a enfilé une cagoule noire. Il est en train de s’affairer discrètement au fond de la classe. Mais le Roi n’est pas dupe, il reconnaît le bruit du métal qui se frotte. La terrible mélodie d’une lame qu’on aiguise.

 

Mais c’est une autre mélodie qui va le sauver. Tels Zack Morris, Screech ou encore A.C Slater, le Roi est sauvé par le gong. La sonnerie de l’école retentit et chacun reprend son rôle.

 

Un peu, plus tard, à l’abri dans sa Clio Maïf, mais encore tremblotant d’être passé si prêt de l’exécution, Louis XVI se demande ce qu’il serait advenu de la société française si la révolution de 1789 avait été interrompue par une sonnerie d’école.

 

Il se demande aussi s’il ne va pas proposer à Monseigneur Peillon, une autre idée de consultation pour les enseignants, après celle sur les programmes, celle sur les assises de l’Education Prioritaire et celle pour organiser les rythmes scolaires de la rentrée prochaine.

 

Une consultation pour savoir  si l’apprentissage est plus efficace avec une prise en main monarchique ou démocratique de la classe.


 

http://offrecinema.tf1.fr/jacquoulecroquant/enseignants/img/repro/3_ordres_2.10.2.jpg

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11 septembre 2013 3 11 /09 /septembre /2013 08:00

Je suis attablé dans la salle des maîtres pendant la récréation du matin. Je pioche une mirabelle dans le saladier qui est posé devant moi. Je l’ouvre, en retire le noyau et la porte à ma bouche.

 

Une sensation désagréable m’envahit. Le fruit est farineux, peu sucré et la peau me reste dans la bouche comme un chewing-gum acide. Je fais la grimace.

 

Sonia : Elles ne sont pas bonnes ?

Moi : Vraiment pas terribles. Qui les a amenées ?

Sonia : Je crois que c’est Mme Boucard.

 

Impossible. Les produits que Mme Boucard daigne laisser dans la salle des maîtres sont destinés à la vente. On les reconnait facilement aux étiquettes de prix qui y sont collées. Au mois d’octobre, deux ou trois potirons sont posés sur la table à côté d’un pèse personne sur lequel un post-it indique le prix au kilo. Au mois de décembre, des petits sachets de gâteaux de l’avent (spécialités allemandes, peut-être alsacienne, voire lorraine) ornent l’étagère, comme dans une confiserie. La comparaison à la confiserie s’arrête à l’étiquetage du prix. Pour le goût, une comparaison au camion Sodexo qui vient polluer la cour et la cantine tous les jours, est plus adaptée. En mars, ce sont les plants en tout genre de plantes potagères. Puis enfin les cerises en juin et les mirabelles en septembre.

 

Et toujours, à côté de ces produits, cette petite caisse de gâteaux bretons vide dans laquelle l’acheteur doit verser son paiement avant de se servir. Mme Boucard, elle est comme ça. Elle fait confiance.

 

Mme Lafeuille confirme 

 

Mme Lafeuille : Oui, c’est Mme Boucard qui les a amenées.

 

Comme je cherche la petite boîte métallique de palets bretons, elle précise :

 

Mme Lafeuille : C’est gratuit. Elle arrête de vendre.

Sonia : Ah bon ?

Mme Lafeuille : Elle a eu des problèmes. Une histoire de revenus non déclarés.

Moi : Nooonnn ?!?

 

Je m’applique le plus possible dans cette interjection exprimant la surprise. Des jours que je m’entraîne. Des « Nooonnn ?!? » à répétition devant mon miroir pour jouer la surprise le plus naturellement possible devant cette nouvelle que j’attendais impatiemment.  Cinq jours exactement. Depuis ce fameux coup de fil que j’ai passé anonymement avec un mouchoir sur le combiné.

 

Une nana : Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, Adeline à votre service, j’écoute.

Moi : Allô ! C’est bien la DRCCGR ?

Adeline : Oui, c’est ça. Quelle est votre requête ?

 

Je lui raconte alors avec force détails les activités frauduleuses de ma collègue dans un établissement public. J’avoue avoir insérer dans mon récit quelques petites exagérations, mais ça, c’est mon côté « auteur ».

 

Adeline : C’est très grave ce que vous me racontez. Je vous passe Monsieur Pierre Moscovici.

Moi : Pierre Moscovici… le franc-comtois ?

Adeline : Euh oui…entre autre.

Moi : C’est mon accent, c’est ça ? Vous l’avez reconnu malgré le mouchoir ?

Adeline : Euh non, mais votre dénonciation me parait de très grande envergure. Je vous passe Monsieur Moscovici, le Ministre de l’économie.

Moi (me rappelant) : Ah oui, c’est vrai ! C’est lui.

 

Après un contrôle du FISC qui a révélé un excédent non déclaré de 36,42 euros dans les revenus annuels de M. et Mme Boucard, ma collègue, ayant refusé le statut d’auto-entrepreneur, doit maintenant écouler son stock gratuitement.

 

Je m’empiffre pendant le reste de la récréation, savourant ma victoire sur la fraude fiscale, heureux d’avoir fait reculer, avec mes modestes moyens, le fléau du marché noir, cette économie souterraine qui pourrit de l’intérieur le système économique de notre Patrie.

 

Sonia : Je croyais qu’elles n’étaient pas bonnes.

Moi (comme une évidence) : Pas bonnes, mais gratuites.

 

Un peu plus tard, en début d’après-midi, je suis en train d’improviser une séance sur les différents niveaux de langage. Cette séance était prévue pour la troisième période mais les « ouais », les « OK » et autres claquements de langue pour m’exprimer l’affirmative ont eu raison de ma patience, et je saute quelques étapes.

 

Memet : Le langage soutenu, c’est pour les bourges.

Moi : Si tu veux, oui.

Memet : Et moi, j’ai pas envie de parler comme dans une fable.

Moi : Je ne te demande pas de parler comme dans une fable. Je te demande de ne plus parler comme dans un clip de RnB. Ça s’appelle le langage courant. C’est le juste milieu.

 

Je suis à moitié assis sur mon bureau, une bouteille d’eau entre les mains que je sirote entre chaque réplique. Soudain, après le premier effet de la dégustation peu appétissante, voici le deuxième effet mirabelle. Les gens constipés appellent cela une vertu. Pour moi, c’est le côté diabolique de la prune. Son redoutable effet laxatif.

 

Je sens comme une déflagration qui se prépare et qui descend le long de mon intestin. Et si je me souviens bien du schéma de la digestion, la sortie est proche.

 

La maîtrise de mon corps et les heures de yoga en position du lotus à respirer par le ventre me permettent de transformer cette déflagration annoncée en un simple dégazage silencieux et extrêmement  soulageant.

Je circule dans la classe pendant que mes élèves sont en train d’identifier sur leur livre de français le niveau de langage de telle ou telle phrase.  Soudain je me rends compte que mes heures de yoga en position du lotus à respirer par le ventre ne m’ont pas permis de cacher l’aspect olfactif du désagrément qui vient de m’arriver.

 

Des chuchotis désobligeants commencent à surgir à un bout de la classe. Des « oohh » écœurés, des « aaahh »  indignés et « ça pue », « ça poque », « ça chlingue ».

 

Les élèves de l’autre côté de la classe, dans un premier temps, se demandent ce qu’il peut bien se passer. Mais rapidemant, ils sont eux aussi au parfum. Puis Memet intervient :

 

Memet : Maître, comment on pète en langage soutenu ?

 

Et les chuchotis se transforment en clameur collective. Le sujet n’est plus tabou. Memet a ouvert les digues. Et les « oohh » et les « aahh » se transforment en accusation.

 

Personne n’est épargné. Chacun se renvoie la faute. Tout le monde en prend pour son grade.

 

Tout le monde, sauf moi.

 

Et je repense à tous les avantages dont je bénéficie dans ma classe. Ces privilèges de statut dont je ne me lasse pas. Je peux m’asseoir sur mon bureau, boire à la bouteille en parlant aux élèves, me promener dans la classe, tutoyer les élèves qui me vouvoient, hausser le ton sans me retrouver privé de récréation. Je peux même me laisser aller (gastriquement parlant) sans être le moins du monde soupçonné.

 

Mais je sais qu’un jour, ces privilèges prendront fin. Les cahiers des doléances, la nuit du 4 août, tout ça… ça va recommencer. Et je devrai rester assis dans ma propre classe, demander la permission pour écrire au tableau, faire signer mon cahier journal par mes parents, attendre la récréation pour boire à des robinets mycosés.

 

Et si par malheur  un fumet désagréable parfume la classe, je ne serai pas à l’abri d’un abrupt, indélicat et totalement dépourvu de poésie « Maitre, c’est toi qu’a pété ? ».

 

 

http://www.idealwine.net/wp-content/uploads/2011/09/panier_de_mirabelles-2.jpg

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26 juin 2013 3 26 /06 /juin /2013 12:48

Il y a deux articles,  je vous ai parlé du conseil de cycles du mois de juin qui sert à répartir les élèves dans les niveaux supérieurs de l'école primaire.

 

Au collège, c'est pareil. Sauf qu'ils ont besoin de nous, petits professeurs de CM2 pour mieux dispatcher les élèves de sixièmes.

 

Du coup, chaque année, le principal du collège de secteur nous convie convoque à la réunion de la commission d’harmonisation.

 

En musique, l’harmonisation est le fait d'ajouter un accompagnement à une mélodie. En collège, l’harmonisation est le fait de mélanger des élèves de différentes écoles et différents milieux pour obtenir des classes mélodieuses.

 

Je débarque alors à la réunion avec une guitare à 24 cordes que j’ai mis dix mois à accorder et qui, malgré mes efforts, comporte encore quelques cordes dissonantes qui troublent la mélodie de la classe.

 

Bruit de caisse enregistreuse

 

Chacun des professeurs des écoles conviés convoqués à cette réunion apporte son instrument pour le transmettre aux professeurs des sixièmes qui sont placés sous la houlette du chef d’orchestre, le principal du collège, Monsieur Lecoq.

 

Monsieur Lecoq, c’est un vieux beau qui sourit à la cantonade pour un oui pour un non et qui sort des blagues salaces qui ne font rire que la grivoise documentaliste du collègue. Il parade dans son costume cintré en satin noir de fabrication italienne. Il a même une fente d’aisance dans le dos. C’est pour ça qu’il peut parader. Sinon, il serait tout coincé.

Monsieur Lecoq, je ne l’aime pas. C’est physique. Il ne m’a jamais rien fait personnellement, mais je trouve que c’est un gros con rien que quand il marche la main dans une poche et l’autre dans ses cheveux poivre et sel. Et un jour, j’aimerais avoir le courage d’aller lui dire.

 

Moi : Monsieur Lecoq, vous êtes… un gros con.

 

Mais j’ai peur que tel le Vicomte de Valvert, je me retrouve cloué par mon manque de verve et l’assurance du proviseur qui me répondrait avec la gouaille de Cyrano :

 

Le proviseur : C’est tout ?

Moi : Mais…

Le proviseur : Ah non ! C’est un peu court jeune homme. On pouvait dire, oh Dieu, bien des choses en somme. En variant le ton, par exemple, tenez :

Admiratif : Quel courage ! Moi, monsieur, si j’étais un gros con comme vous, je n’oserais même pas sortir.

Artiste : Si j’avais sur mon visage votre air perpétuel de gros con, il faudrait sur le champ que je me l’encadrasse et que je l’exposasse dans un musée d’art brut.

Conseiller d’orientation : Avec un tel potentiel, un gros con comme vous devrait se lancer en politique. A coup sûr, il sera élu.

 

Mais ce jour n’est pas encore arrivé, alors je pose ma guitare et m’assois en adressant un timide bonjour aux professeurs du collège présents.

 

Bruit de caisse enregistreuse

 

Je suis un peu impressionné par cette bande de profs du secondaire. Un complexe d’infériorité que je traîne depuis l’IUFM lorsque je côtoyais les PLC1, l’élite de la pédagogie,  qui s’échinaient à obtenir un concours ultra select. Alors que nous tentions notre chance en dilettante à un sous-concours, faute d’une meilleure idée d’orientation professionnelle.

 

Les professeurs du collège regardent nos instruments avec une pointe de curiosité et un soupçon de mépris. Ces instruments qu’on a choyés 24 heures par semaines et qu’ils vont s’échanger toutes les heures comme la progéniture d’une famille recomposée. Ces instruments qui n’avaient qu’un seul musicien et qui vont se retrouver grattés, soufflés et frappés par divers doigts et divers bouches.

 

On sait qu’à la fin de cette réunion, tout sera désaccordé. Les cordes de ma guitare seront dispatchées dans différentes classes et se mélangeront aux pistons de la trompette de l’école voisine et aux lames du métallophone d’une autre école encore. Et pendant 10 mois, ces experts musiciens que sont les profs du collège, tenteront de créer une nouvelle musique qu’ils rendront la plus mélodieuse possible, avant la prochaine réunion d’harmonisation à la fin de la sixième.

 

Bruit de caisse enregistreuse

 

Monsieur Lecoq, le chef d’orchestre tapote sa baguette sur le pupitre. Silence. D’un geste précis, il enclenche le vidéoprojecteur et apparaissent sur le mur, des tableaux vierges. On comprend alors qu’on va composer les sept classes de sixième dès ce soir. On comprend aussi que la soirée n’est pas terminée, alors on réagit.  Tous les profs de CM2 se jettent sur la parole en même temps. Chacun pense l’avoir et débite ce qu’il a préparé pour la réunion. « Lui, il faut le pousser au train, il est fainéant mais très capable ! » «  Elles, ils faut les séparer, c’est mieux pour elles ! Et pour vous aussi. » « Elle, elle veut être dans la classe de lui. Ils sont voisins, c’est plus pratique pour les devoirs » «  Attention  à l’absentéisme chez celui-là ! » «  Et elle… »

 

STOOOOOPPPP !

 

Monsieur Lecoq est tout rouge. Et moi, je suis content. Parce que son teint cramoisi ne va pas du tout  avec le noir de son satin.

 

Les professeurs du secondaire, eux, sont très disciplinés. Ils n’ont rien dit, n'ont posé aucune question. Ils gardent un petit sourire poli devant nos têtes échevelées par ce départ précipité.

 

Bruit de caisse enregistreuse

 

Monsieur Lecoq calme tous les profs des écoles. Il remet les choses à plat. Après son intervention, on se croit à la boucherie, chacun attendant son tour en chiffonnant nerveusement le ticket sur lequel est inscrit son numéro. Le parallèle avec la boucherie ne s’arrête pas là. Nos élèves sont traités comme du bétail qu’on parque avant de le mener à l’abattoir. Aucune considération pour ces pauvres enfants. De la marchandise qu’on stocke dans un entrepôt, rien de plus.

 

Bon, d’accord, nous aussi, on pourrit nos élèves à longueur de pause méridionale dans la salle des maîtres. Mais nous c’est pas pareil ! On les aime bien nos élèves. Eux ne les connaissent pas encore.

 

Les tableaux des classes peinent à se remplir. Il y a toujours un couac que soulève un prof de collège. Ils voient tous, ils sont trop forts. Alors on recommence et on réfléchit à des solutions. Rapidement. Pour en finir.

 

Les profs du secondaire, eux, parlent lentement. Ils pèsent le moindre mot et réfléchissent trois heures pour sortir une simple phrase sans complément. Et souvent, ils digressent. Ils partent dans des conversations qui n’ont rien à voir avec le sujet de la soirée.

 

Bruit de caisse enregistreuse

 

Enfin, quand, au bout de près de deux heures, tous les élèves sont casés dans un des sept tableaux et que Monsieur Lecoq s’apprête à cliquer sur la petite disquette au-dessus de son document Exel, un professeur d’histoire intervient calmement.

 

Le prof : Zut alors ! On a oublié de prendre en compte les options facultatives !

 

Je crois discerner  un petit sourire sur ses lèvres quand il fait sa remarque pertinente de prof du secondaire. Mais ce n’est pas possible. Il ne peut pas être si content que ça. Il vient de ruiner deux heures de travail et du même coup, de relancer la réunion pour au moins une heure ce plus.

 

Bruit de caisse enregistreuse

 

Une heure plus tard, il est presque vingt heures. J’arrive en catastrophe dans les locaux de la crèche et je trouve mon fils en train de jouer avec Monsieur Patate qui ressemble vaguement à Monsieur Lecoq à la fin de la réunion : la cravate dans la poche, la fente d’aisance sur une chaise et le satin noir tout froissé. L’assistante maternelle me regarde avec un air de reproche en tapotant sa montre.

 

Je comprends alors ce qui me hantait depuis le début de la réunion. Ce bruit de caisse enregistreuse qui résonnait dans ma tête, c’étaient les heures supplémentaires que j’allais devoir payer à la CAF pour avoir laissé mon enfant plus longtemps à la crèche.

 

Puis soudain, l’illumination. Le sigle CAF est  le déclencheur. Un  autre sigle apparait dans mon esprit en lettres lumineuses. ISOE. Puis des flashs de la réunion : le sourire du prof d’histoire, la lenteur du débit de ses collègues, leur air narquois.

 

Indemnité de Suivi et d’Orientation des Elèves. Un privilège de profs du secondaire.

Une indemnité qui, manifestement, donne le sourire à ceux qui la perçoivent. Ce qui permet de vivre de nombreuses et longues réunions dans une ambiance agréable, bercé par le doux bruit d’une caisse enregistreuse qui engrange des indemnités.

 

 

http://us.123rf.com/400wm/400/400/aleksandrn/aleksandrn1205/aleksandrn120500020/13715573-musee-d-39-une-caisse-enregistreuse-sur-un-fond-blanc-isole.jpg

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5 juin 2013 3 05 /06 /juin /2013 13:28

Notre école, au top de la modernité, est équipée d’un jardin pédagogique. Le jardin, c’est un carré de terre. La pédagogie, c’est ce que nous en faisons. 

 

Ce matin, profitant du soleil, j’ai enfilé mes bottes et mes gants de jardinier pour bêcher le potager. Ça, c’est le côté  jardin.

 

Côté cour, il y a mes élèves assis en arc de cercle. Ils me regardent et font des commentaires sur la grosseur des mottes de terre que je retourne et sur le nombre et la taille des vers de terre qui apparaissent. Ça, c’est le côté pédagogique. Sur ma fiche de « prép », dans la case « objectifs », j’ai écrit :

·         Travailler en groupe

·         Echanger entre paires

·         Estimer des volumes de matières friables

·         Estimer des longueurs qui bougent

·         Dénombrer des quantités vivantes et grouillantes

 

Soudain, alors que j’entame mon deuxième  arpent de jardin, des cris stridents attirent mon attention. Lina et Sanah sont en mode catcheuses au centre de l’arc de cercle. Les cris stridents ne viennent pas d’elle, mais des autres élèves qui, eux, sont en mode spectateurs. Elles, elles accomplissent la prouesse de se battre en silence. De voir deux filles s’affronter dans un combat à mains nues me ramène 20 ans en arrière, dans la chambre de mon pote Jérôme, dans laquelle on s’excitait des mercredi après-midis entiers sur des manettes de console de jeu. Aujourd’hui, dans la cour, se déroule devant moi une ultime partie de Street-Fighter II avec Chun-Li versus Chun-Li sur une Super Nes défectueuse, dépourvue de carte son.

 

D’un point de vue technique, on ne peut parler d’art martial. Il y a bien des prises comme dans tous les combats, mais il ne s’agit pas techniques proprement dites. Il s’agit de vraies prises. Des prises de chignons qui se transforment en poignées de cheveux dans les mains des protagonistes.

 

Voyant que je n’ai aucun contrôle depuis mon potager, je lâche ma manette, plante ma bêche, retire mes gants doigt par doigt, et me dirige calmement vers la joute. J’empoigne les deux catcheuses par l’épaule et tente de les séparer. Mais elle s’agrippe chacune aux cheveux de l’autre. Plus je tire plus elle s’agrippe et plus les spectateurs sont hystériques. Mais de leur part, toujours aucun son.

 

Finalement, quand les prises se font plus rares sur la tête de chacune, quand les mains se heurtent à une surface crânienne lisse dépourvue de cheveux, les deux filles abandonnent. Je m’apprête à les accompagner dans le bureau de Directrice.

 

Shems : Oh non ! Déjà !

 

Je me retourne, prêt à sermonner Shems à propos de sa remarque déplacée, et je les vois, lui et Ludo, en train de verser des grands seaux d’eau dans mon potager à moitié bêcher.

 

Moi : Qu’est-ce que vous faîtes ??

 

Les deux garçons se regardent. On peut lire dans leurs yeux autant d’incompréhension que dans les miens. Moi, je ne comprends ce qu’ils font et eux ne comprennent pas ma question.

Enfin si ! Il la comprenne d’un point de vue littéral. Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est pourquoi je la pose, cette question. Cela paraît tellement évident ce qu’ils font.

 

Ludo (en haussant les épaules d’évidence) : Ben, on construit un ring.

Moi : Un ring ?

Shems : Ben oui, une aire de combat.

Moi : Je sais ce que c’est qu’un ring. Mais là, vous ne faîtes pas un ring, vous bousillez mon jardin.

Ludo : Mais non, on s’est dit, c’est plus sympa si Sanah et Lina, elles se battent dans la boue.

 

J’attrape mes deux pervers par le col et ne fais pas le voyage  pour rien jusqu’au bureau de directrice.

 

Alors que je traverse la cour avec mes quatre  hurluberlus sous les bras, je m’aperçois que je ne suis même pas en colère. Eux non plus d’ailleurs. Ce n’est qu’une partie de plus dans ce jeu de relation que nous avons mis en place tout au long de l’année.

Une vague de nostalgie me submerge. Je retiens une larme en pensant à cette année écoulée.

Certes, il reste un mois, mais ce soir je vais commencer à tourner la page de cette promotion pour découvrir celle qui suit. Ce soir, on répartit les élèves dans les classes supérieures.

 

Le soir-même, tout le monde est réuni autour des listes vierges de l’an prochain. On prend celle qui correspond à notre niveau. Ensuite, chacun met des petites annotations sur la liste de son effectif de cette année : des cœurs, des plus, des moins, des plus plus moins plus, des têtes de morts, des croix, des ronds, des lapins et des vampires. On légende le tout avec plein d’explications précises. Et après, on remet tout ça aux enseignants qui nous succèdent dans la hiérarchie des classes et ils se débrouillent pour répartir les élèves.

 

Pas très déontologique tout ça ! Tous ces gribouillis à côté des prénoms qui sont autant d’aprioris envers nos futurs élèves. Et l’effet Pygmalion, vous y avez pensé ?

 

Moi : Qui c’est celui-là ?

Google : Un sculpteur chypriote de l’Antiquité ?

Moi : Et alors ?

 

Et l’effet Rosenthal et Jacobson, vous y avez pensé ?

 

Moi : Qui c’est ceux-là ?

Wikipédia : Deux sociologues qui ont montré dans une expérience que l’on pouvait influencer l'évolution d'un élève en émettant une hypothèse sur son devenir scolaire.

Moi : Hein ?

La sociologie pour les Nuls : Tu prends deux groupes de CM2 moyens, tu les donnes à deux enseignants moyens. A l’un tu dis : « C’est un super bon groupe, tu pourras en tirer quelque chose ! » et à l’autre tu dis « Que des nazes, y’a pas grand-chose à faire ! ». Tu reviens une année scolaire plus tard, juste après les évaluations nationales des CM2 et tu constates que la classe qui a le mieux réussi est celle que tu as valorisée auprès de son enseignant.

 

Tout ça pour dire que dans notre école et dans beaucoup d’autres, Pygmalion et ses deux potes sociologues, on s’en fout un peu. Et les gribouillis à côté des prénoms, ça nous amuse. Alors pourquoi se priver.

 

L’an prochain, je rempile pour le CM2.  Sonia, elle, signe à nouveau pour un CM1/CM2. Du coup, on doit se répartir  les futurs CM2. Pendant qu’elle et Directrice sont train de s’occuper des CM1, je fais ma cuisine tout seul dans mon coin.

 

Je tire la langue tant je m’applique. Dès que je vois un nom, j’essaie d’y associer un visage que j’aurais croisé en récréation, en salle de médiation ou en échange de service. Je creuse au plus profond de ma mémoire faisant fi des annotations établies par mes collègues. Le niveau scolaire et le comportement ne m’intéressent pas. C’est autre chose qui guide mes choix.

 

Enfin, je lance mon stylo et m’adosse sur ma chaise avec un long soupir de satisfaction.

 

Moi : Ca y est ! J’ai fini !

Sonia : Fais voir ! J’ai mon mot à dire !

 

Je lui donne ma liste.

 

Elle se décompose au fur et à mesure de la lecture puis passe ma liste à mes collègues qui, à tour de rôle, y vont de leur commentaire.

 

Mme Boucard : N’importe quoi Tévélis. Si c’est une blague, tu nous fais perdre notre temps.

Directrice : Mais t’es malade. T’as fait ça au hasard ou quoi ?

M. Janti : Tu aimes les défis, toi, ça se voit.

Sonia : T’as fait une classe de gros boulets. Tu vas te taper 13 PPRE à rédiger, au moins 4 orientations SEGPA à proposer, sans parler de l’ambiance de classe qui sera infernale. Il y a des éléments à ne pas mettre ensemble.

 

Je sais tout ça, alors je souris.

 

Je sais que je vais passer un temps fou à rédiger des projets en tout genre pour tous mes élèves en difficulté. Je sais aussi que je vais rencontrer les familles plus souvent qu’à mon tour. Je sais même que je vais participer à des centaines d’équipes éducatives.

 

Monsieur Janti n’a pas lâché ma liste. Il l’analyse avec ardeur, cherchant minutieusement quelle était ma logique lorsque j’ai créé cette classe.

 

Mr Janti (criant presque) : J’ai trouvé !!! Pour le sport !!

 

Bravo Mr Janti ! C’est pour le sport ! Le tournoi de basket inter-écoles avec Jamal et Lucas dans mon équipe, c’est dans la poche. Le cross des écoles avec Sourya, Camille, Nordine et Paolo, c’est du tout cuit. Avec une classe comme celle-là, je peux qualifier au moins trois équipes aux rencontres USEP départementales. J’ai même pensé à prendre Alya et Roméo pour le concours de sécurité routière.

 

A moi toutes les coupes et les médailles de la circonscription !!!!

 

Sonia : T’es vraiment qu’un gamin !

 

Je n’avouerai pas à Sonia, ni aux autres,  que les honneurs et la gloire ne sont qu’une infime partie des critères qui ont motivé mes choix.

 

Avant tout, lorsque j’ai composé cette Dream Team, je pensais à ce blog. Mes élèves sont ma première source d’inspiration. Si je n’avais pris que des plantes vertes dans ma classe, certes, j’aurais gagné la tranquillité. Mais faute d’inspiration, j’aurai dû lâcher ma plume pour reprendre ma bêche.

 

Et faire pousser mes plantes vertes.

 

 

 

http://4.bp.blogspot.com/-X0B0GNa7rrU/UNIsNq8KnxI/AAAAAAAAAYU/6sdI_CZizdg/s1600/street-fighter-ii-turbo-hyper-fighting-super-nintendo-snes-1295495206-033.jpg

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24 mars 2013 7 24 /03 /mars /2013 15:20

Ce n’est pas la fleur au fusil que je pars demain sur le front de la classe découverte.

 

Déjà parce que l’ensoleillement timoré de ces derniers mois n’a pas permis aux fleurs de ma région d’embellir ce début de printemps.

 

Ensuite parce que je ne vois pas ce que je ferais d’un fusil en classe découverte. A part le point rouge d’un sniper du GIGN embusqué qui se promènerait sur mon front avant de se transformer en trou sanglant, je ne vois pas ce que cet outil m’apporterait.

 

Du coup, c’est carrément désarmé que je pars au combat.

 

J’aurai pu rester calfeutrer dans le train-train rassurant de ma base, au rythme des rassemblements de compagnie, des services de garde, des instructions topographiques et des séances de sport.

 

Avec pour seul entorse à cet emploi du temps immuable, de temps en temps, un petit tour au trou quand j’omets de mentionner le grade de Directrice lorsque je la salue.

 

Mais non ! Je me suis porté volontaire. Et demain, après avoir écrit une dernière lettre à ma mère, après avoir embrassé tendrement femme et enfant, je jetterai fièrement mon barda sur l’épaule et sans un regard pour ma famille éplorée, je partirai pour l’école où m’attendront impatiemment mes élèves et Jean-Paul, le chauffeur de bus.

 

Pourquoi ? Pour quels honneurs ? Quelle médaille ?

 

Les honneurs ? Un article de dix lignes dans le blog de l’école que j’aurai moi-même rédigé car comme le dit Cyrano, les honneurs, « je me les sers moi-même avec assez de verve ».

 

La médaille ? Un pin’s du conseil général qui viendra trouer mon dernier T-shirt pas encore tâché.

 

Et loin de cette image illustrant le départ dans la joie des troupes françaises en 1914 -celle qu’on trouve dans les livres d’histoire- j’imagine le départ de ma classe demain matin.

 

 

Sur le parking de l’école, ce n’est pas la fleur au fusil, mais le stylo en bouche que je prends en note les dernières recommandations des parents inquiets.

 

Une maman : Je ne l’ai pas écrit dans sa fiche de liaison parce que j’avais peur de faire des fautes… mais Louise est intolérante au gluten.

Moi : Rien que ça ?

La maman : Voilà la liste des ingrédients qu’elle ne doit pas ingérer.

 

Et elle me tend une liste qui fait le poids du dernier tome d’Harry Potter. Elle aurait mieux fait de me donner la liste de ce qui lui était autorisé, elle n’aurait pas pesé plus lourd qu’un roman d’Amélie Nothomb.

 

Moi (à une autre maman) : Au fait, Madame, Shems m’a dit qu’il faisait ses prières et je voulais vous dire que …

La maman : N’importe quoi ! Il ne les fait pas à la maison, il ne va pas s’y mettre en classe découverte.

Shems : Mais si maman !

La maman (le gratifiant d’un petit taquet bien humiliant) : T’es même pas pubère, arrête tes bêtises !

Shems : Si, je suis pubère.

La maman : Tu ne sais même pas ce que c’est !

Shems : Si ! Mamie m’a expliqué.

 

Je m’éloigne discrètement de la maman de Shems qui est en train de sortir du sac de son fils un tapis et une boussole. Elle est passée en mode « Arabe » et bien que je ne comprenne rien, je peux lire la traduction directement dans le regard penaud du pauvre Shems.

 

Le papa de Sanah s’approche de moi. Il passe dans ma bulle d’espace social, puis il crève ma bulle d’espace personnel et comme il s’approche encore, la bulle de mon espace privé explose. POC ! Il me touche presque. A la manière des agents secrets des mauvaises séries françaises, il tourne la tête doucement à droite et à gauche pour voir si personne ne nous voit, puis de sa main, il glisse quelque chose dans la mienne.

 

Cette scène, je l’ai vécue des dizaines de fois avec mon grand-père quand il me donnait une obole à l’insu de ma grand-mère.

 

Le papa de Sanah recule d’un pas. Je regarde ma main. Un billet de cinquante euros.

 

Je m’apprête à lui dire dans un sourire radieux qu’il est beaucoup plus généreux que mon grand-père, mais c’est lui qui prend la parole :

 

Le papa : C’est pour Sanah.

Moi : Bien-sûr ! J’avais compris.

Le papa :…

Moi : Mais vous savez. On ne pourra pas acheter de souvenirs…

Le papa : Je sais ! C’est pour les cartes postales.

Moi : Cinquante euros de cartes postales.

Le papa : Voici la liste des adresses de la famille.

 

Je me retrouve alors avec un deuxième dernier tome d’Harry Potter sous le bras.

 

Un peu plus tard, sur le marchepied du car, je contemple la brochette de parents.

 

Les plus indignes sourient à pleines dents et les plus hypocrites pleurent. Je les soupçonne de pleurer de joie. La joie d’un peu de tranquillité retrouvée le temps du séjour de leur enfant chéri loin de la maison.

 

Ma collègue Sonia qui est aussi la maman de Judith, une de mes élèves, me regarde en souriant. Elle me fait un signe de la main. Je lui réponds machinalement. Mais je suis déjà loin. Dans une tranchée ou un bunker. Alors que je retiens mes larmes, son sourire à elle, semble s’élargir. Et juste avant que les portes ne se referment, dans un horrible rire digne des sorcières les plus méchantes des contes de notre enfance, elle lance un très ironique : « Bonne vacances Tévélis ! »

 


 

http://tnhistoirexx.tableau-noir.net/pages12/images/19143.jpg

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6 février 2013 3 06 /02 /février /2013 14:09

Directrice : Tu tiens un blog ?

 

Ça me tombe dessus de bon matin. J'avais chaussé mon plus beau sourire pour saluer Directrice, et elle, son regard le plus froid. Ça ressemble à une question mais le ton n'y est pas vraiment. On dirait déjà un reproche.

 

Moi : Euh, oui. Mais c'est pas vraiment moi. J'ai pris un pseudo. Comment tu m'as reconnu ?

Directrice : Ce n'est pas toi que j'ai reconnu. C'est moi.

 

Et elle me jette à la figure, que, oui, je prends un pseudo mais que j'ai le toupet de ne pas en donner aux gens que je décris. Je lui rétorque alors qu'il n'y a aucun M. Janti ou Mme Lafeuille dans l'école. Mais elle me balance qu'il n'y a pas besoin des noms pour reconnaître les gens.

 

Alors je procède autrement :

 

Moi : Mais comment tu sais que c'est moi ?

 

Elle aurait pu dire que j'étais le seul homme "jeune" de l'équipe. Et qu'elle avait reconnu mon style littéraire et cette patte si particulière qui fait les grands auteurs. Mais elle a préféré le coup bas.

 

Directrice : Pendant la récréation, je suis allée consulter le cahier journal de chacun d'entre vous. Et j'ai trouvé le tien plutôt épuré. Le seul de toute l'école qui permettrait à son auteur de tenir un blog.

 

Ça fait déjà un peu mal, mais elle ajoute :

 

Directrice : Ou d'avoir une seconde activité professionnelle, comme chauffeur routier à l'international ou ministre.

Moi : Oui, ben, c'est bon... Je sais ce que ça veut dire "épuré".

Directrice : Mais comme je te trouve un peu gringalet pour conduire un poids lourd et un peu honnête pour être ministre, j'en ai conclu que tu tenais ce blog.

 

J'encaisse en silence. Sympa pour l'honnêteté. Mais mes heures à soulever de la fonte me reste en travers de la gorge. Elle enchaîne :

 

Directrice : Du coup, j'aurais besoin de toi.

Moi : De moi ? Pourquoi ?

Directrice : Pour nous donner une formation sur la création d'un blog pour l'école.

 

Je refuse net. La dernière fois que j'ai partagé mes compétences avec mes collègues, je me suis retrouvé sur un DVD pédagogique du CRDP sur lequel je fais le pantin avec un parachute géant et une bande de mouflet qui l'agitent en braillant. Et, encore deux ans après, il n'est pas rare qu'aux animations pédagogiques, des types me reconnaissent et me fassent des commentaires désobligeants sur ma séance de jeux coopératifs.

 

Directrice : Très bien. Dans ce cas Madame l'Inspectrice sera ravie d'apprendre qui est l'auteur du blog dans lequel elle apparaît comme une nymphomane hystérique qui sort de gâteaux géants en sous-vêtements lors de ses inspections (cf ici).

 

Voilà comment je me retrouve un mardi soir dans la salle informatique au pied du TBI avec six de mes collègues sagement assis devant leur poste informatique.

 

Au début, tout se passe bien. Chacun allume son PC et suit mes consignes en regardant le tableau interactif. Puis, petit à petit, des questions fusent, les gens s'énervent, la technologie fait des siennes et je me retrouve vite débordé.

 

Je suis en train d'expliquer à Mme Boucard ce qu'elle doit faire pour les élèves dont les parents n'ont pas signé l'autorisation du droit à l'image.

 

Moi : Il faut flouter leur visage pour qu'ils soient méconnaissables.

Mme Boucard (plutôt choquée) : Tu veux dire...les défigurer ????

Moi (qui remarque son désarroi) : Oui, c'est un peu ça... mais après avoir pris la photo. Pas avant.

 

Soudain, l'imprimante posée à côté de moi se met en marche. Je découvre alors une image s'imprimer petit à petit sous mes yeux horrifiés.

 

Moi : ça va ! Tranquille ! Si je te dérange, dis-le moi.

 

Tout le monde me regarde avec surprise. Seul M. Janti a compris que je m’adressais à lui et il se tasse derrière son écran.

 

Sans réfléchir, je prends la feuille et la montre à toute la "classe".

Aussitôt, je regrette mon geste. M. Jeanti se liquéfie et les autres sont outrés.

 

Les autres : Haaaaannnnnn !!!!!


Du coup, pour ne pas trop perdre la face, je réprimande calmement mon collègue.

 

Moi : Non, mais quand même M. Jeanti. Il y a d'autres moments pour ça. Je sais que c'est ta passion. Mais là tu es passé un cran au-dessus. C'est une obsession.

 

Et j'insiste pour enfoncer le clou :

 

Moi : Tu es un obsédé.

 

Je jette un dernier coup d'œil sur la feuille (on en voit des gros, des petits, des ridés, des velus, il y en a de toutes les couleurs... une infinité de poissons d'aquarium...complétement nus), et je la tends à mon collègue aquariophile.

 

La séance se poursuit. Mes "élèves" sont plutôt médiocres dans l'utilisation d'un ordinateur. Je ne sais plus où donner de la tête. Je vais d'un poste à l'autre pour aider chacun et je sens que la classe m'échappe. Je perds le contrôle. Les bavardages se multiplient. Les éclats de rire aussi. Je surprends Mme Boucard en train de visionner le "dernier" Starsky et Hutch en streaming. Puis Sonia et Magalie en pleine discussion privée sur Facebook. Le bruit s'intensifie et je sens que je vais craquer.

 

Enfin, la séance touche à sa fin. Il était temps. Je suis au bord de la crise de nerfs.

 

Moi : Des questions ?

 

Un seul doigt se lève. Celui de Mme Lafeuille. Je serai bientôt chez moi.


Mme Lafeuille : Cest quoi le code ?

Moi : Le code de quoi ?

Mme Lafeuille : Le code pour allumer l'ordi.

 

Je me refais le film de la séance dans la tête. Il est vrai que ma collègue de CP ne m'a pas sollicité. J'ai pensé avec surprise qu'elle était compétente et qu'elle n'avait pas besoin de mon aide. Mais là, quand sur son écran, je vois la page d'accueil de Windows lui demandant d'inscrire le code de sa session, je perds mes moyens et je me mets à pleurer.

 

Quand je reprends mes esprits, je suis dans les bras de Directrice. La tête sur son épaule détrempée. Elle me caresse les cheveux en me disant "Là, là, ça fait du bien de pleurer. Tu en avais besoin...".

 

Je me braque brusquement et me retire de son étreinte. Je regarde tout le monde et les yeux injectés de larmes et de sang, je saute sur une chaise et bondit pour m'accrocher au vidéoprojecteur. De là-haut, de la mousse de bave aux comissures des lèvres, je regarde mes collègues en hurlant :

 

Moi : Magalie et Sonia vous êtes privées de récréation. M. Jeanti, je vais convoquer tes parents. Mme Boucard, donne-moi ton cahier de liaison. Quant à toi Mme Lafeuille, tu vas finir le reste de tes jours en aide personnalisée.

 

Puis tout s'enchaîne. La sirène. Les blouses blanches. La camisole. La seringue. La chaude sensation du tranquillisant qui court dans mes veines. Et le jour de carence.


 

 

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