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2 octobre 2019 3 02 /10 /octobre /2019 07:22

Lundi matin en arrivant à l’école, sur le panneau d’informations, Directeur avait laissé une flopée de messages qu’on devait théoriquement prendre le soin de lire avant de rejoindre nos classes. J’avoue que le matin, quand je débarque avec mon lunch bag sous le bras, mon casque entre les dents, mon cartable d’une main, et les clés que je suis en train de ranger de l’autre, je suis peu enclin à m’attarder pour déchiffrer l’écriture hiéroglyphique de Directeur.

En général, je file tout debout jusqu’au frigo dans lequel je me décharge, dans le meilleur des cas, de mon lunch bag, mais parfois de mon cartable. Je monte dans ma classe, constate que j’ai encore changé la cachette de la clé du placard dans lequel est rangé mon ordinateur de classe. Tente de me remémorer ma dernière brillante idée de vendredi pour déjouer les voleurs d’ordinateur. Enfonce mon bras jusqu’au coude dans un pot de fleur pour en ressortir la clé qui délivrera mon outil de travail. Enfile ma clé usb (après quatre tentatives recto verso). J’imprime, massicote, ordonne. Sursaute au son de la première sonnerie. Vérifie que je ne suis pas de service de cour. M’aperçois que l’original posé sur ma pile de copies m’a leurré et que j’ai massicoté n’importe comment. Fulmine. Réimprime, remassicote, réordonne. Resursaute et descends dans la cour. Je souris, salue, ordonne et remonte dans la classe avec mes élèves. M’adosse au tableau.

Et soupire !

La journée peut enfin commencer.

Ce midi-là, entre les APC, les corrections et une équipe éducative, les flageolets froids ont du mal à passer, même poussés par du gigot plein de nerfs.

Tout ça pour dire que quand une sonnerie inhabituelle nous a interrompus à 15h en pleine séance sur les déchets, j’étais bien embêté de deviner quel en était le motif.

Les trois quarts de la classe ont soufflé un « déjà » avant de déchanter en levant le nez vers l’horloge.

- C’est quoi maître, cette sonnerie en plein après-midi ?

J’ai fait le tour de la question dans ma tête. Confinement ? Alerte intrusion ? Et si c’est une intrusion, c’est quoi ? Un terroriste ? Un témoin de Jéhovah ? Le commercial de chez Sed ?

Dans le doute, j’ouvre la porte de ma collègue Laurine entre nos deux classes.

- C’est quoi cette sonn…

- Chuuuuutttt !!!!

Ce n’est pas ma collègue mais bien ses 22 élèves qui m’intiment de me taire.

Laurine m’explique :

- C’est pour Chichi !

- ….

- La minute de silence !!

- Chichi ?

- Rac !

- Ah merde, c’est vrai ! Chirac !!

- Haaaaaannn !!!

- C’était sur le panneau d’informations ce matin, t’as pas regardé ?

De retour en classe, j’explique brièvement :

- C’est Jacques Chirac, l’ancien président !

- Il est là ?

- Non, il est mort !

- Ah ouiiiiiii !!!

Ça y est, ça leur revient ! Les images qui ont tourné en boucle sur toutes les chaînes pendant tout le week-end. Leur émission préférée déprogrammée sur NRJ12 pour relater les 83 années de vie de notre ancien Président plutôt que la journée de 10 starlettes coincées dans une maison truffée de caméra.

- Même que mon petit frère, il a pleuré.

Cela m’intrigue :

- Ton petit frère de CP, il a pleuré à cause de la mort de Jacques Chirac ??!

- Oui, il a cru qu’on parlait de Kenji Chirac !

D’autres, maintenant, sont intrigués :

- C’était son père ?

C’est Mila qui recentre le propos et qui me met dans l’embarras :

- On doit faire une minute de silence.

- Comme pour Johnny ?

(J’apprends alors que mon collègue de CE2, Monsieur Magnin, avait rendu hommage à son idole en décembre 2017, en interprétant devant ses élèves « Les portes du pénitencier » à la guitare avant de faire une minute de silence.)

Je n’ai rien contre Jacques Chirac, ni l’homme, ni le président. Un hommage national non plus. Pourquoi pas ? On veut encore sacraliser la fonction présidentielle comme au temps des rois ? Soit !

Mais une minute de silence dans toutes les administrations françaises ! Pour un fonctionnaire, qui, il y a plus de 10 ans, a rempli une mission d’état pour laquelle il a été élu ! Et pourquoi pas une minute de silence pour cet ancien pompier courageux, cette ex-infirmière dévouée, ces militaires tombés pour la France, ce policier téméraire ou cette directrice d’école maternelle si investie ? Pourquoi pas ?

En guise d’hommage, je décide de leur parler rapidement de l’ancien Président. Le problème c’est que les seules images qui me viennent sont l’aigle bleu du bébête show, le guignol de Canal+, une pomme, les allées du salon de l’agriculture, le baiser sur le crâne de Barthez… Rien de bien hommageux.

Je me replie sur Internet…mais cela ne fonctionne pas. J’apprendrai plus tard que cela faisait partie des infos rédigées sur le panneau de l’entrée.

Je me retourne vers mes élèves et enchaîne :

- Alors…. Revenons à nos déchets…

- On fait pas d’hommage ?

- Non

- Dommage !

D'hommage à Chirac !
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