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18 septembre 2019 3 18 /09 /septembre /2019 06:55

La semaine dernière, je prenais l’air avec ma bande de CM2. Eux, inconscients, étaient occupés à se courir les uns après les autres selon une flanquée de règles alambiquées, caractéristique essentielle d’un bon jeu traditionnel. Et moi, tout aussi inconscient, j’étais debout le long de la limite du terrain, le soleil chauffant mes bras et mes jambes nus et mon visage souriant béatement à cette réminiscence de vacances d’été, refoulant l’idée du dérèglement climatique qui est en train de tous nous faire crever dans des délais de plus en plus courts. Cette année, je me suis octroyé le luxe et le culot de faire figurer son mon emploi du temps, cette douce parenthèse enchantée. J’en ai même mis trois heures, et j’appelle ça de l’EPS.

Mais toute bonne chose a une fin, et c’est Badis qui mit fin à ma bonne chose en invectivant ses propres coéquipiers qui restaient cloitrés dans la cabane et qu’il jugeait trop poltrons :

- Allez, bande de tapettes !! Sortez de la cabane !!

Badis poursuivit la séance sur le banc (baptisé pour l’occasion, le banc de la réflexion) avec la consigne de réfléchir à son langage et au sens des mots qu’il employait, non sans avoir fait preuve, avant tout ça, d’une bonne dose de mauvaise foi :

- Ben quoi ?! « Cabane », je sais ce que ça veut dire !!

De retour en classe, sans doute poussé par le vent de justice qui souffle sur nos stades de football et les multiples interruptions de matches pour insultes homophobes, je décidai de consacrer cinq minutes à une petite séance de vocabulaire doublée d’une leçon d’éducation citoyenne.

- Alors Badis, selon toi, que veux dire le mot « tapette » ?

De fil en aiguille, chacun ayant une idée plus ou moins erronée sur le sujet, la conversation dériva et voilà comment le mot « sexe » fit son apparition dans notre classe dès la deuxième semaine de classe. Il ne vint pas seul ! Des ricanements et des attitudes choquées l’accompagnèrent. De plus, il vint avec une grande partie de sa famille. Ainsi, les mots « homosexuel », « hétérosexuel », « sexualité » furent aussi expliqués et analysés, avec, à chaque prononciation, une sourde explosion collective.

De vocabulaire, la leçon tourna à la biologie. Nous sortîmes même de notre placard les vieux dictionnaires qui suivaient les élèves depuis le CE2, et fîmes une visite éducative à la double page 220/221, cette double page que les enfants connaissent bien et qu’ils ne manquent pas de regarder à chaque utilisation du dictionnaire. Celle qui expose de manière très médicale un homme et une femme nus (accompagnés de deux squelette), côté à côte, les paumes tournées vers le lecteur, entourés d’une légende luxuriante et tout aussi croustillante.

Très vite, j’adoptai cette méthode qui consiste à décortiquer une insulte. En mettant des images, des mots, des définitions sur ces injures, on arrive à les démystifier, à les décrédibiliser parfois, à les ridiculiser aussi et leur ôte alors leur pouvoir blessant et donc tout intérêt à les utiliser.

Je fus tout de même un peu démuni quand Louna ordonna à Jonas de « niquer ses morts » mais j’allai au bout de ma démarche et après une séance sur la reproduction humaine qui nous éclaira sur le vrai sens du mot « niquer », je leur ôtai toute envie d’utiliser à nouveau cette insulte en leur collant dans la tête l’image d’une personne avec une pelle dans un cimetière en train de creuser la tombe d’un aïeul pour le « niquer ». Je dois dire que les dessins qui ont suivi notre séance et qui ornent notre couloir à présent, sont des plus réussis.

J’ai plein d’idée pour les futurs conflits.

Au prochain « fils de pute », je prévois de visionner le film Pretty Woman, pour leur montrer qu’une pute, ça peut être sympa et attachant et que moi, je n’aurais aucun problème à appeler Julia Roberts, maman.

Si j’entends le mot « con » dans une dispute, nous ferons un zoom très détaillé sur le sexe de la femme de la page 221.

Comme j’ai parlé de ma nouvelle pédagogie à Mme Dumoulin, ma collègue de CE1, elle s’est empressée de l’utiliser. Et pas plus tard qu’hier, alors qu’elle avait le dos tourné à sa classe, et que Tim a lancé à la classe que « La maîtresse pue des couilles », elle s’est retournée calmement, a ordonné à deux élèves d’aller chercher les dictionnaires dans la classe des CM2, a demandé à chaque élève de l’ouvrir aux pages 220 et 221.

Puis elle s’est approchée de Tim et lui a expliqué dans un calme froid :

- Maintenant je vais t’expliquer pourquoi il n’est pas possible que la maîtresse pue des couilles et pourquoi si tu sens une odeur qui te gène, il est plus probable que cela vienne des tiennes.

 

 

 

Analyse d'injures
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