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4 mai 2011 3 04 /05 /mai /2011 09:20

 

Pendant la récréation. Libre de service, je me récrée ( ou me recrée) dans la salle des maîtres. Le bruit des enfants se divertissant nous parvient depuis la cour. Soudain, une sirène retentit. Lointaine. Hors des locaux. Dans la cour, peut-être.

 

Mme Lafeuille : C'est pas déjà la sonnerie, on vient de descendre.

Mme Dubois : C'est pas l’alarme non plus, on ne l'entend presque pas.

Moi : C'est pas une sirène...ni une sirène d’ailleurs...c'est Lina qui pleure.

 

Dix minutes plus tard. La vraie sonnerie a retentit, les élèves sont rangés. Mais Lina persiste.

Un gros chagrin sans doute. Au moins une tricherie aux billes ou un refus de prêt de corde à sauter.

 

Je me lance alors du haut d'un rocher et plonge dans les larmes de la pauvre fillette. J'espère en ressortir une rose entre les dents pendant qu'elle me survolera en deltaplane, comme dans la pub ULTRA BRITE. Malheureusement, je me trouve entraîné malgré moi dans un tourbillon qui m'aspire vers le fond. Pas moyen de la consoler, ni de connaître l'origine de ses pleurs.

 

Pour le coup, le reste de la classe semble désolidarisé de la pauvre Lina. Sans doute, parce que ce matin elle m'a aidé à remettre la main sur les photocopies de l'évaluation de maths que je devais leur faire passer.

Personne ne semble savoir pourquoi elle pleure. Enfin, personne ne le dit.

 

Moi : Alors, y'a bien quelqu'un qui sait. Pourquoi elle pleure, Lina ? Quelqu'un lui a fait du mal ?

Sarah : Ben non ! Au contraire, je lui ai donné mon goûter.

Ludo : C'est pour ça qu'elle pleure alors.

 

Tout le monde rigole. Personne n'est dupe. Ludo faisait bien référence aux saveurs originales des gâteaux que Sarah apporte aux récréations. Ils se sont tous fait avoir au moins une fois, et ont été surpris, après avoir troqué leur Cap'tain Choc ou leur Pitch, de croquer dans une part de cake au manioc ou au gingembre.

 

Malgré tout, il faut remonter en classe. Et finalement, c'est dans la montée d'escaliers, les langues se déliant, que j'en apprends davantage sur le cas Lina. Arrivé en classe, j'en suis quasiment sûr et c'est Lina, elle-même, qui confirme dans un hochement de tête qui finit de noyer son cahier du jour.

 

Ses clés sont passées à travers la grille d’égout de la cour.

 

Les pleurs sont justifiés. Elle risque de se retrouver à la rue en rentrant chez elle. Pire ! Elle risque d'attendre dans le bureau de Directrice que sa mère vienne la chercher. Pire encore ! Elle risque de manger à la cantine.

Je compatis en pensant au camion SODEXHO qui décharge chaque matin dans la cour une cargaison douteuse à l'odeur plastifiée.

 

J'envoie alors Romain, élève de service, chercher Directrice.

Quand cette dernière arrive dans la classe dont le calme ambiant est parasité par les sanglots et les reniflements de Lina, je lui explique brièvement le problème. Elle semble à mille lieues de ces préoccupations et je ne serais pas surpris qu'elle hausse les épaules en disant «  C'est pas la mort ! ».

 

C'est pas la mort, certes, mais c'est plutôt agaçant une gamine qui pleure quand on essaie d'expliquer au reste de la classe que Louis Soleil n'est pas arrivé en vaisseau spatial sur Terre.

 

Du coup, j'abats ma dernière carte.

 

Moi : Bon, ben, tu peux au moins appeler Mme Machin, la mère de Lina, pour la prévenir.

 

Ça marche. Directrice réagit. A l'évocation de son nom de famille, elle remet Lina. La fille de la chieuse du conseil d'école. La trésorière de l'association des parents d'élèves. Du genre coriace. Du genre qui connaît les programmes par cœur.

 

Directrice quitte alors la classe sur ces mots : « Je m'en occupe ! ».

Au ton qu'elle emploie, je sais qu'elle va utiliser les gros moyens pour récupérer les clés, quitte à plonger elle-même en maillot de bain et en pince-nez dans les profondeurs putrides de la cour.

 

Pourtant ce n'est pas la Directrice en bikini que je vois un peu plus tard dans la cour, mais un de ces énormes camions munit d'un aspirateur géant. Deux employés de la mairie en sortent et je vois Directrice qui leur désigne la plaque d'égout.

 

Les 2 gars commencent leur boulot. Un odeur pestilentielle s'infiltre dans la classe. Les élèves qui n'ont pas encore vu le camion, pensent que Sodexho est arrivé et tentent de deviner ce qu'ils mangeront à midi. L'odeur nauséabonde ne semble pas les dégoûter et j'en entends même un dire : «  Ça me donne faim ! ».

 

Un peu plus tard, un des agents municipaux se présente dans l'encadrement de la porte. Il a l'air moyen patient. Sûrement avait-il quelque chose à faire de plus important que de fouiller les égouts à la recherche d'un malheureux trousseau de clés.

 

L'agent : C'est qui la p'tiote qu'a paumé ses clés.

 

Je lui montre.

 

L'agent ( dans un soupir) : On a trouvé des billes, des galots, un cahier du jour, un sandwich et un bracelet brésilien bleu... mais pas de clés.

Hubert : C'est mon bracelet. Mon vœu s'est réalisé. J'avais souhaité le retrouver quand il se décrocherait.

L'agent : T'avais un porte clés après tes clés. Ça nous aiderait.

 

Entre deux sanglots, on arrive à comprendre que oui, elle a un porte-clés. Un scoubidou apparemment.

 

L'homme retourne à la pèche.

 

Il réapparaît deux minutes plus tard avec son collègue, plus remonté que jamais.

Je sens qu'ils ont échoué et perdu leur temps. Je fais une tête de circonstance pour les remercier et m'excuser au nom de toute l’Éducation Nationale pour le dérangement.

Soudain, le gars brandit un scoubidou au bout duquel se balance un petite clé.

 

Je souris et regarde Lina, du genre, « Regarde et arrête de pleurer maintenant ! »

 

Du coup je ne comprends pas la tête de méchant que les deux employés se sont façonnés. Je tends la main pour prendre la clé et remarque alors ce qui les a mis en colère. A l'instar des 2 mecs qui se trouvent sur le pas de la porte, mes sourcils se froncent, un bouillonnement interne secoue mes entrailles du ventre jusqu'à la gorge, je serre les dents et les poings, puis me retourne le plus calmement possible vers Lina.

 

Moi (très sèchement) : Lina ! Mouche-toi ! Lève-toi ! Et viens remercier les messieurs qui ont retrouvé la clé de ton journal intime.

 

 

http://what-the-l.com/userfiles/image/article61cl%C3%A9s/victorian%20key%20by%20md%20sparks.jpg

 

Un petit souvenir de 1981 :

 


 
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commentaires

M
<br /> Le boulet.... C'est dans des moments comme ça qu'il faut réussir à garder son calme ! En tout cas beau suspens ! :D<br /> <br /> <br />
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S
<br /> je suis jalouse j'ai jamais eu de clé pour mes journaux intimes :-(<br /> <br /> <br />
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C
<br /> quelle chute bravo!<br /> <br /> <br />
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  • : Jean Tévélis, professeur de écoles, raconte ses aventures dans ce blog avec des billets remplis d'humour, d'enfance et de vécu...
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